A titre de membres de l’Organisation internationale du travail (OIT), le Canada et les provinces ont l’obligation de respecter, promouvoir et appliquer de bonne foi les droits humains fondamentaux précisés en 1998 dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Parmi ces droits figure la « liberté d’association » ou, autrement dit, le droit de devenir membre d’un syndicat et de participer aux négociations collectives. La Cour suprême du Canada, dans une décision rendue à six contre un le 8 juin 2007, a confirmé que la négociation collective est protégée par la Charte des droits et libertés. Dans leur décision, la juge en chef Beverly McLachlin et la juge Louise LeBel ont affirmé que « le droit de négocier collectivement avec l’employeur favorise la dignité humaine, la liberté et l’autonomie des travailleurs en leur donnant l’occasion d’exercer une influence sur l’adoption des règles régissant leur milieu de travail et, de ce fait, d’exercer un certain contrôle sur un aspect d’importance majeure de leur vie, à savoir leur travail ».
Le Canada et quelques provinces, y compris la Saskatchewan, ont satisfait à cette obligation en accordant l’accréditation automatique lorsque la majorité simple (50 % plus 1) des membres d’une unité de négociation signaient la carte d’adhésion au syndicat. D’autres provinces ont reculé devant cette obligation et ont contrecarré les efforts des travailleurs en vue de se syndiquer, soit en exigeant un vote confirmant l’appui à la syndicalisation, soit comme au Manitoba, en établissant un seuil d’accréditation automatique tellement élevé que la procédure a perdu toute signification.
Avant 1990, les travailleurs du Manitoba pouvaient obtenir l’accréditation automatique en obtenant la signature de 55 % des travailleurs admissibles à une unité de négociation. Durant les années 1990, les gouvernements conservateurs ont élevé le seuil d’accréditation automatique à 65 %, puis ont exigé que toute demande d’accréditation fasse l’objet d’un vote.
En 2000, le gouvernement NPD nouvellement élu a modifié la Loi sur les relations du travail pour supprimer les changements les plus régressifs apportés par les gouvernements conservateurs précédents. Mais sur la question de l’accréditation, le gouvernement a plié devant le tollé du monde des affaires et, au lieu de revenir aux conditions de la loi en vigueur avant les années 1990, a imposé un seuil de 65 % pour l’accréditation automatique, un changement qui n’a amélioré en rien les conditions de la syndicalisation.
Des études ont confirmé que les travailleurs ont plus de chance de se syndiquer et d’obtenir l’accréditation dans les territoires de compétence où l’on accorde l’accréditation automatique en fonction du nombre de cartes d’adhésion et d’un seuil de 50 % plus 1. En 2005, le Fraser Institute, un opposant acharné aux droits de syndicalisation (qui amélioreraient les conditions des travailleurs), a publié un article intitulé Explaining Canada’s High Unionization Rates (Explication des taux élevés de syndicalisation au Canada) qui tentait d’expliquer l’écart des taux de syndicalisation (proportion des travailleurs rémunérés syndiqués qui ne sont pas agriculteurs) entre le Canada et les É-U. En 2004, ce taux était de 31,8 % au Canada et de 13,8 % aux É.-U. La différence est notable et a une grande portée. De plus, de tels écarts existent autant dans le secteur privé (19 % au Canada comparativement à 8,6 % aux É.-U.) que dans le secteur public (75,5 % au Canada et 40,7 % aux É.-U.).
Les auteurs de l’article soutiennent que l’un des principaux facteurs expliquant la différence entre le Canada et les États-Unis provient du fait que le fédéral et cinq provinces du Canada permettent l’accréditation en fonction du nombre de cartes d’adhésion, une pratique qui fait augmenter à la fois « le taux de réussite des tentatives de syndicalisation et le nombre de tentatives d’accréditation ».
Au Manitoba, la législation sur l’accréditation est paradoxale dans le contexte canadien. D’une part, la loi permet l’accréditation automatique avec un taux d’adhésion de 65 %. D’autre part, la loi exige un scrutin secret pour toute demande d’accréditation pour laquelle on a obtenu un taux d’adhésion inférieur à 65 %. Cette façon de procéder est paradoxale du fait que, dans une situation où le taux d’adhésion est de 65 % ou plus, le résultat d’un scrutin secret équivaudrait presque invariablement à un coup de circuit.
Le problème avec un vote secret, c’est qu’il peut s’avérer particulièrement coûteux dans les cas où le taux d’adhésion varie de 40 % à 60 %, car les employeurs seront vraisemblablement tentés de consacrer d’importantes ressources à l’intimidation, au harcèlement et à d’autres tactiques douteuses en vue de gagner le scrutin. L’expérience historique des États-Unis l’illustre bien, où le mépris combiné de l’employeur pour les lois du travail, les droits démocratiques, les commissions et les tribunaux du travail favorables aux employeurs a nui à la syndicalisation et à la négociation collective. C’est la possibilité de perdre le scrutin qui motive les syndicats à s’efforcer d’atteindre le seuil de 65 %. Malheureusement, les ressources requises pour obtenir l’adhésion d’un plus grand nombre de membres ne font pas seulement grimper les coûts d’une campagne de syndicalisation, mais en limitent aussi le nombre à ceux qu’il est possible d’entreprendre avec les ressources dont on dispose.
Actuellement, les syndicats canadiens fonctionnent dans ce que certains commentateurs qualifient de climat froid. Le terme fait référence au fait que ni les employeurs, ni les gouvernements ne sont bien intentionnés à l’égard des syndicats. Cela se voit dans le fait que le taux de syndicalisation au Canada est en déclin : durant les années 1980, le taux moyen de syndicalisation se situait à 35,7 %; il est resté à 34,4 % pendant les années 1990; depuis l’an 2000, cependant, il a chuté jusqu’à près de 30 %.
Le taux de syndicalisation en 2006 au Manitoba était de 34,8 %, bien au-dessus du taux de 29,7 % pour le Canada, et surpassé seulement par ceux de la Saskatchewan, de Terre-Neuve et du Québec. Le Manitoba semble maintenir apparemment sa position et il est important de reconnaître que le taux de syndicalisation de cette province est resté constant au cours des quelques dernières années. En outre, cette stabilité générale masque le fait que plusieurs des forces qui ont miné le taux de syndicalisation dans d’autres provinces s’exercent aussi dans certains secteurs de l’économie du Manitoba. Dans le secteur manufacturier, par exemple, le taux de syndicalisation était de 29,7 % au Manitoba en 2006, soit à peu près le même que celui de la moyenne nationale, mais inférieur au taux de quatre autres provinces, à savoir la Colombie-Britannique (31,8 %), la Saskatchewan (35,1 %), le Québec (39 %) et Terre-Neuve-et-Labrador (40,7 %).
Ce qui est surtout préoccupant dans cette réalité, c’est que si ces forces prennent de la vigueur, la base du mouvement syndical du Manitoba risque d’en souffrir. Si l’adhésion diminue, les syndicats se verront pressés d’entreprendre et de soutenir des campagnes actives rendues nécessaires pour maintenir leur élan. Ce problème s’est intensifié à l’échelle du pays, ces dernières années, avec la concentration des employeurs antisyndicaux dans les secteurs les moins organisés de l’économie (banques, Wal-Mart et ses concurrents, grands hôtels, chaînes de restaurants et grandes entreprises agricoles, par exemple). Les conséquences seront particulièrement inquiétantes pour les syndicats du secteur privé, car la diminution du nombre de membres réduira leur capacité non seulement d’organiser ceux qui ne le sont pas, mais également de maintenir les services offerts à leurs membres actuels. Tout ceci aurait certainement des répercussions néfastes sur les travailleurs et l’ensemble de la collectivité.
Il faudrait que le gouvernement du Manitoba intervienne dès maintenant face à cette menace. Le mieux, pour commencer, serait de ramener le seuil d’accréditation automatique à 50 % plus 1. Qu’est-ce qui pourrait bien motiver qu’on néglige ainsi de soutenir le droit démocratique des travailleurs de s’organiser de cette façon?
– Errol Black et Jim Silver
Messieurs Errol Black et Jim Silver sont membres du conseil d’administration du CCPA — Manitoba et auteurs de Building a Better World: An Introduction to Trade Unionism in Canada, publié chez Fernwood Press.