Les systèmes d’éducation publique — les écoles, le personnel enseignant et les autres travailleurs et travailleuses de l’éducation qui en assurent le fonctionnement — permettent aux élèves d’accéder à de vastes ressources pour assouvir leur quête de connaissances et stimuler leur créativité.
Parmi ces ressources figurent des extraits tirés de livres, de contenu numérique et d’œuvres musicales. Or, ce matériel est protégé par le droit d’auteur. Cela dit, le principe de l’utilisation équitable prévu par la loi le rend accessible aux élèves et aux membres du corps enseignant, lesquels ont en effet le droit d’utiliser à des fins éducatives des extraits de matériel protégé par le droit d’auteur.
Mais si on laissait le champ libre à l’industrie de l’édition, l’utilisation équitable serait bien vite reléguée à l’histoire.
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Sauf quand il est question de partager des mots de passe pour accéder à des plateformes de diffusion continue numérique ou de télécharger illégalement du contenu numérique, les Canadiennes et Canadiens moyens ont rarement, peut-être jamais, besoin de réfléchir au droit d’auteur. Pourtant, depuis une dizaine d’années, certains groupes multiplient mine de rien les efforts pour faire augmenter les frais d’utilisation du matériel protégé par le droit d’auteur et, par le fait même, rendre ce matériel moins accessible à celles et ceux qui en ont le plus besoin : le personnel enseignant et les élèves.
La pandémie de la COVID‑19 et les fermetures qui ont suivi ont montré clairement que les Canadiennes et les Canadiens ne sont pas tous égaux, loin de là. Celles et ceux qui pouvaient travailler de la maison étaient à l’abri, tandis que les autres devaient composer jour après jour avec les risques pour leur santé et les limitations de l’accès à l’information et à l’apprentissage. Les récentes et longues fermetures des écoles ont aussi creusé le fossé entre les personnes avantagées et les autres.
Soudainement, des milliers d’élèves et leurs familles se sont retrouvés complètement livrées à eux‑mêmes et on a compris, comme jamais auparavant, à quel point ces élèves dépendent des écoles publiques non seulement pour avoir une éducation inclusive de qualité, mais aussi pour profiter d’endroits sécuritaires, recevoir des déjeuners nourrissants et bénéficier d’un soutien social indispensable.
De fait, quand les écoles ont fermé leurs portes et pris le virage virtuel, l’iniquité est devenue flagrante. De fortes proportions d’élèves n’avaient pas accès à l’internet, à l’information et aux ressources nécessaires à leur apprentissage. Les fermetures ont prouvé que les écoles et les systèmes d’éducation publique financés par l’État, en plus d’être essentiels au développement des collectivités et de la prochaine génération de chefs de file du pays, sont des vecteurs de l’équité dans notre société.
Tandis que le système d’éducation publique travaillait à se remettre de la pandémie, d’autres forces le menaçaient par-derrière. L’aboutissement de cette nouvelle lutte, qui l’oppose aux lobbyistes du secteur de l’édition déterminés à faire changer les lois sur le droit d’auteur (avant la prochaine élection fédérale), pourrait conduire à un véritable bouleversement à long terme de l’éducation publique.
En 2012, la Cour suprême du Canada s’est prononcée en faveur de l’utilisation équitable, une décision pour laquelle l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires, l’Association canadienne des gestionnaires de commissions scolaires et la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants avaient fait beaucoup. Pensez aux innombrables leçons conçues par des enseignantes et enseignants qui s’appuient sur des passages de livres, des articles, des vidéos et des images numériques, et imaginez ce qui se passerait s’il fallait payer pour accéder à tout cela. Or, cet obstacle à l’accès est justement ce que le secteur de l’édition et ses équipes de lobbyistes veulent obtenir.
Pour former notre prochaine génération d’artistes, d’auteurs et autrices, de philosophes et de lecteurs et lectrices, nous devons encourager la curiosité, la créativité et les explorations intellectuelles de nos jeunes.
En pratique, le principe de l’utilisation équitable assure, justement, cette équité. Les éducateurs et éducatrices ne sont pas autorisés à copier des ouvrages entiers, mais le monde de l’édition essaie de nous faire croire le contraire. Dans tout ce processus, il a maintes fois répété, sans fondements, que les enseignantes et enseignants enfreignent régulièrement les droits des auteurs au point de presque démolir à eux seuls toute une industrie. En 2019, dans le cadre d’une poursuite encore en cours contre les conseils scolaires (ou leurs équivalents) du pays par Access Copyright, un tribunal fédéral a exigé que des enseignantes et enseignants de divers territoires et provinces remettent leurs plans de leçon et leur matériel pédagogique. Nombreux ont été celles et ceux qui ont vu là un geste d’intimidation.
Et comme s’il ne suffisait pas d’aller accuser le personnel enseignant, le monde de l’édition est allé convaincre les artistes et les auteurs et autrices que le principe de l’utilisation équitable s’appliquait à leurs dépens, que le personnel enseignant et les élèves les privaient de leurs moyens de subsistance. En réalité, c’est à l’industrie que l’élimination du principe de l’utilisation équitable et le rétablissement des droits profiteraient le plus.
Pour former notre prochaine génération d’artistes, d’auteurs et autrices, de philosophes et de lecteurs et lectrices, nous devons encourager la curiosité, la créativité et les explorations intellectuelles de nos jeunes. Or, nous n’y arriverons pas sans équité en éducation. C’est en ayant accès à du matériel riche grâce au principe de l’utilisation équitable que les élèves découvrent le monde au-delà de la salle de classe et que le personnel enseignant parvient à les accrocher et à faire grandir leurs intérêts. Au contraire, les maisons d’édition veulent réduire ou éliminer cet accès aux ressources en ligne, même si cela mine l’épanouissement des jeunes et l’évolution de la société canadienne.
Pour ce qui est du droit d’auteur, nous voulons une approche équilibrée qui reconnaît les droits à la fois des producteurs de contenu et des personnes qui l’utilisent. Nous voulons que les artistes et les auteurs et autrices reçoivent une juste rémunération en échange de leurs contributions à la culture, mais nous voulons aussi que les enseignantes et enseignants ainsi que les élèves continuent de bénéficier d’un « accès juste et équitable » au riche éventail de ressources publiquement accessibles pour renforcer l’expérience d’apprentissage et donner aux élèves de tous les horizons la possibilité de devenir les artistes de demain.
Pour l’avenir, la solution n’est pas d’éliminer le principe de l’utilisation équitable, mais plutôt de le renforcer pour faire que les systèmes canadiens d’éducation publique financés par l’État soient plus solides, plus inclusifs et plus équitables qu’ils ne le sont aujourd’hui. La pandémie nous a appris à quel point l’accès à l’information et à l’apprentissage est essentiel dans la société canadienne. C’est une leçon que nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier!