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C’est clair, je n’utilise probablement pas les services postaux aussi souvent que je le pourrais. Cependant, je suis toujours contente de savoir qu’ils me sont accessibles si j’en ai besoin, peu importe où je me trouve et dans quelle situation financière personnelle je suis. J’apprécie aussi le fait qu’ils permettent à des femmes et des hommes d’avoir de bons emplois stables et des avantages sociaux, partout au pays.

La récente annonce de coupure de services faite par Poste Canada aura un impact important sur nos vies (pour certaines personnes plus que d’autres, pensons aux personnes âgées ou à mobilité réduite!). Cette annonce soulève des questions sur notre volonté collective d’avoir accès à des services universels et sur la lente érosion de nos institutions démocratiques qu’annonce ce changement majeur.

La situation mérite réflexion, particulièrement dans le contexte où les justifications pour procéder à cette restructuration si radicale des services postaux est basée sur des arguments aussi faibles! Voyons un peu :

«C’est certain qu’on aime ça avoir notre courrier à domicile, mais on ne peut plus se le permettre »

En fait, non. Poste Canada a dégagé un bénéfice au cours des 17 dernières années (à l’exception de 2011, année où la société de la couronne a décrété un lockout envers ses employés et où le règlement attendu d’une cause en équité salariale aura ramené ce bénéfice à zéro).

Le fait est que Postes Canada rapporte de l’argent aux canadiens. Oui, le volume du courrier a diminué (même si le nombre d’adresses desservies a augmenté) mais les livraisons de colis ont augmenté exponentiellement en raison de l’augmentation des achats faits en ligne. Situation dont la société des postes s’est même vantée récemment.

« Oui mais le régime de retraite est dans le rouge! »

En fait, à moins que Postes Canada ferme ses portes et se retrouve dans l’obligation de payer l’ensemble des sommes dues à ses employés et retraités actuels (ce qui, nous venons de le voir, n’est pas près d’arriver), le régime de retraite est bien garni. Cependant, si jamais Postes Canada venait à fermer, le régime se trouverait en effet en déficit.

« La livraison du courrier à domicile est une chose du passé, comme les allumeurs de réverbères ou les laitiers. »

Une chose du passé? En êtes-vous bien certains? Parce que le Canada vient tout juste de devenir le tout premier pays du G7 (pas une première place dont il faut être fier…) à éliminer la livraison du courrier à domicile. Plutôt que de procéder à des compressions radicales qui mèneront à la perte de Postes Canada, il eut mieux fallu développer de nouveaux services qui en amélioreraient la rentabilité, au bénéfice de tous les canadiens et les canadiennes, comme le service bancaire postal, par exemple.

« Plus personne n’utilise la poste, il y a la technologie! »

Bon, les interwebs sont géniaux, tout le monde est d’accord là-dessus. La contribution des émoticônes à l’enrichissement de notre vocabulaire est sans commune mesure. Je dois avouer qu’il m’arrive assez souvent de régler des transactions de façon électronique. Par contre, je n’ai pas encore trouvé le moyen de livrer des colis grâce à mon ordinateur. L’imprimante 3D est certainement une solution mais à moins d’avoir 5000$ à dépenser, on repassera.

Aussi, temps des Fêtes oblige, les enfants adorent envoyer des lettres au Père Noël et en recevoir une en retour. L’opération perd tout son charme par courriel. C’est la même chose pour les cartes d’anniversaire, les dessins d’enfants, etc. Je suis peut-être vieux jeu, du haut de mes trente ans, mais j’adore recevoir mes magazines préférés à la maison plutôt que sur ma tablette électronique, ça fait partie des plaisirs de la vie. La mort annoncée de la poste a été gravement exagérée, même par celles et ceux qui devraient mieux connaître l’industrie.

« Ce n’est pas si grave, seulement un tiers des canadiens reçoivent leur courrier à domicile. »

Si on se fie à un tableau super pratique à la page 21 du rapport annuel de Poste Canada en 2012, ce sont 63% des canadiens qui reçoivent leur courrier à domicile, que ce soit directement dans leur boîte aux lettres ou dans la boîte postale de leur immeuble à logements. Il faut ajouter à cela 12% des canadiens et canadiennes qui ont également des casiers postaux.

Seulement 25% de la population reçoit son courrier dans des « super boîtes » telles que préconisées dans la réforme radicale de Poste Canada. La décision de mettre fin à la livraison du courrier à domicile n’en est donc pas une visant quelques privilégiés, elle touche un nombre incroyable de canadiens et canadiennes. Cette décision aura des répercussions pour les entreprises et une énorme part de la population, résultant en une marginalisation encore plus grande des populations déjà vulnérables au pays.

« Personne ne perdra son emploi, 15 000 employés des postes vont prendre leur retraite d’ici 5 ans de toute façon. »

Même si la restructuration radicale ne résulte pas en pertes d’emploi directes, nous serons tous affectés par cette décision. Ce sont 8000 emplois stables et bien rémunérés qui seront éliminés du marché de l’emploi. Ça signifie moins de taxes sur les biens et services payés par ces 8000 personnes, moins d’argent dépensé au sein de communautés locales et surtout, le renforcement d’une tendance vers la précarité du marché du travail et des conditions de travail moindres pour tous.

« L’élimination de la livraison du courrier pour les élites des région urbaines renforce l’égalité avec le milieu rural. »

Pour être bien clair, l’universalité du service signifie qu’on a tous accès à la même qualité de service, pas que les services sont ramenés au strict minimum, nous laissant responsables de la différence selon nos capacités de payer ou de nous déplacer. Faire en sorte que les choses soient « pareilles » ne les rend pas équitables, bien au contraire.

« Arrêtez d’être paresseux! Les « super boîtes » vont encourager les gens à sortir et à rencontrer leurs voisins! »

Bien que je sois entièrement d’accord de renouer avec un sentiment de communauté (je suis après tout une grande fan de la série Gilmore Girls et du village idéalisé de Stars Hollow), je crois que la solidarité sociale est bien plus mise en péril par la destruction tranquille et organisée de nos services publics, par l’accroissement des inégalités sociales et de la précarité, ainsi que par l’érosion de nos institutions démocratiques. Certes, dire bonjour à son voisin en allant chercher le courrier, c’est bien mais une boîte postale, aussi « super » soit-elle, ne rachètera pas tout le reste… Pas même si elle est équipée d’une borne sans-fil.

« C’est la faute des syndicats! »

Ah oui, les syndicats! Le plus grand fléau qui afflige la société moderne. Les employés des postes ont l’un des plus haut taux de blessures dans tout le secteur public fédéral. Ils font également un salaire décent, leur permettant de faire partie de la classe moyenne. Ils ont également des avantages sociaux et un régime de retraite. Tout ça, c’est la faute des syndicats.

Ce sont toutes de bonnes choses. Au lieu de pointer du doigts celles et ceux qui y ont accès, nous devrions lutter pour que plus d’entre nous les obtiennent, car ils permettent aux gens d’avoir une qualité de vie décente, un équilibre travail-famille, une retraite décente, la possibilité d’épargne et d’avoir une maison, ainsi que de contribuer à l’économie locale.

Oui, il y a eu des grèves dans les 20 dernières années (deux pour être précis, dont l’une était en rotation, de sorte que le service n’a pas été suspendu jusqu’à ce que la direction décrète un lockout). Et grâce à leurs actions de mobilisation en 1981, les postiers ont négocié une rémunération supplémentaire pour les congés de maternité, mesure qui a depuis été adoptée par de nombreuses entreprises du secteur public et privé. Il s’avère que leur courage et leurs combats ont profité à des milliers de Canadiens et Canadiennes.

Traduction et adaptation, gracieuseté de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).