À propos de ce projet
Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) a confié à Environics Research le mandat de mener une série de discussions de groupe avec des Canadiennes et des Canadiens afin de mieux comprendre comment ils perçoivent la radiodiffusion de service public en général, et CBC/Radio-Canada en particulier. Ces entretiens ont été menés avec le slogan politique « définancer CBC » en toile de fond.
Du 13 au 20 février 2025, Environics a organisé huit groupes de discussion en ligne, avec des participants de la Colombie-Britannique, des Prairies, de l’Ontario, du Québec et du Canada atlantique. Cinq se sont déroulés en anglais, et trois avec des francophones du Québec, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Les participants aux groupes de discussion étaient âgés de 18 ans et plus, représentaient la diversité du Canada et constituaient un échantillon représentatif d’hommes, de femmes et de personnes de différentes identités de genre. Toutes les personnes qui ont participé écoutent ou regardent CBC/Radio-Canada au moins à l’occasion.
Principaux constats
Nous ne l’avions pas prévu ainsi, mais il se trouve que groupes de discussion se sont tenus à un moment unique de l’histoire du Canada : les menaces de tarifs douaniers, de guerre économique et d’annexion du Canada en tant que « 51e état » du président américain Donald Trump ont exacerbé le sentiment de fierté patriotique des Canadiennes et des Canadiens. Notre diffuseur canadien a tout naturellement trouvé sa place dans cette expression de fierté. Pour la plupart des personnes participantes, CBC/Radio-Canada est un symbole national. En cette époque où nous nous sentons vulnérables en tant que pays sous la menace des États-Unis, les personnes participantes considèrent que CBC/Radio-Canada est le reflet de notre identité et estiment que l’institution mérite d’être préservée.
Bref, le réseau CBC/Radio-Canada est aimé d’amour. C’est un « fidèle compagnon » aux yeux de nombreuses personnes qui ont participé aux groupes de discussion.
« Un chemin de fer est venu relier le Canada il y a 150 ans », a noté l’un des membres des groupes de discussion. « CBC fait aussi partie des choses qui relient le Canada. »
« Pour faire du Canada le 51e état, il faudrait d’abord détruire son identité culturelle », a ajouté une autre membre, soulignant que CBC/Radio-Canada joue un rôle identitaire déterminant.
« Le réseau fait partie de notre patrimoine. Il existe depuis toujours et on peut l’associer à de nombreux événements importants de notre vie. »
Si le financement de CBC est supprimé, « autant brûler mes livres », s’est indigné un autre participant.
La Soirée du hockey. Les Pays d’en haut. Découverte. Cerebrum. El Toro. En direct de l’univers. Nouvelles locales. Podcasts et documentaires d’Ohdio. Téléjournal. La Facture. ARTV. Tout cela, c’est le tissu de la vie de tant de Canadiennes et de Canadiens. C’est aussi la nostalgie, pour les plus âgés qui associent CBC/Radio-Canada aux émissions qui ont bercé leur jeunesse, comme Rue des Pignons, Bobino, La Souris verte.
« Le contenu produit par CBC/Radio-Canada au cours des cinq dernières années trône parmi les meilleurs, a expliqué un jeune participant. Nous avons des podcasts étonnants qui sont partagés dans le monde entier tellement ils sont extraordinaires. C’est un contenu qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Pourquoi voudrait-on tuer l’âme des médias canadiens? »
« Ce serait dévastateur pour notre pays et pour notre capacité à proposer un contenu de qualité, représentatif de toutes les voix et de tous les vécus des régions éloignées du pays », a affirmé une autre participante.
En plus d’en apprécier le contenu, les membres des groupes de discussion considèrent que CBC/Radio-Canada est une importante source d’unité.
« Je pense que c’est essentiel, a dit une jeune participante. J’aime bien le point de vue des personnes plus âgées à ce sujet. Son rôle devrait être d’unir le pays. »
« C’est la seule chose à laquelle tout le monde a accès. C’est le gardien de la culture canadienne. Ça nous unit. »
Pour de nombreux membres des groupes de discussion, CBC/Radio-Canada est un pilier de la démocratie et de l’équité.
« C’est un chien de garde, un protecteur de nos droits démocratiques », a renchéri un participant.
« Le réseau connecte l’ensemble du pays. Des gens qui seraient isolés autrement y ont accès », selon un autre.
« La désinformation est déjà un problème dans la société. Si CBC/Radio-Canada n’existait pas, elle se répandrait plus rapidement, car nous n’aurions plus de source impartiale pour comparer l’information. »
Les gens apprécient que CBC/Radio-Canada parle du vécu et des préoccupations des peuples autochtones et d’autres communautés qui n’obtiennent pas de temps d’antenne sur les réseaux privés. Ils aiment aussi que le réseau fasse une bonne place à la diversité culturelle, artistique et musicale du Canada.
Le Canada se trouve à une croisée culturelle où sa population se sent plus patriotique, plus nationaliste et plus vulnérable face aux menaces américaines. Un parti politique qui promet de définancer CBC pourrait très bien être considéré comme antipatriotique et s’attirer les foudres de la population.
Le réseau CBC/Radio-Canada est une source d’information fiable. La plupart des gens comprennent que le rôle du diffuseur public est d’être « indépendant » du gouvernement, de couvrir les communautés mal desservies, d’assurer une couverture impartiale de l’actualité aux quatre coins du pays et de veiller à ce que les Canadiennes et les Canadiens de tous les horizons se reconnaissent en lui.
Le profit n’est pas un critère. Beaucoup de gens craignent qu’en l’absence du réseau CBC, le Canada finisse par être accaparé par des médias de milliardaires dont les points de vue biaisés alimenteraient la désinformation. En d’autres termes, ils craignent de voir se reproduire chez nous ce qui se passe aux États-Unis. Au Québec, les gens ont expliqué qu’en l’absence de Radio-Canada, toutes les nouvelles viendraient de Péladeau et de Desmarais.
« Je fais plus confiance aux informations de CBC/Radio-Canada qu’à ce que j’entends partout ailleurs. La raison d’être du réseau n’est pas la même », a expliqué un participant.
« Sa priorité première est de servir les gens, et non de faire des profits. »
« Si CBC/Radio-Canada venait à disparaître, ce serait la fin du Canada. C’est le réseau qui maintient l’unité de notre nation. »
Perspectives sur le définancement de CBC
La plupart des personnes rencontrées connaissent l’intention du Parti conservateur de définancer CBC. Certaines ne croient pas que cela se produira un jour. D’autres pensent que ce discours a pour but de ragaillardir sa base militante. Beaucoup pensent que la motivation de Pierre Poilievre n’est pas d’économiser, mais plutôt de contrôler l’information que les Canadiennes et les Canadiens reçoivent. Beaucoup soupçonnent les Conservateurs de vouloir éliminer les médias qui ne leur sont pas assez favorables, pour les remplacer par de la désinformation à l’américaine.
Dans l’ensemble, les gens estiment que CBC présente des nouvelles généralement impartiales et respecte des normes journalistiques rigoureuses. Ils réagissent favorablement aux conclusions voulant que CBC/Radio-Canada soit la chaîne la plus regardée/écoutée et la plus fiable du pays. Certains craignent que les réseaux d’information canadiens ne finissent par être contaminés par l’information à l’américaine, à plus forte raison si CBC/Radio-Canada est définancé.
« On n’a qu’à observer ce qui se passe aux États-Unis, la guerre de l’information et des données, a expliqué un participant. Gagner la guerre du partage de l’information, c’est contrôler le narratif. Si l’on n’entend pas parler des inégalités, c’est qu’elles n’existent pas. Le but est de contrôler le narratif et de faire taire les critiques. »
Les participantes et participants sont conscients que l’intention des Conservateurs est de définancer uniquement le réseau anglais CBC, et non Radio-Canada. Et ils considèrent que cette différence de traitement entre la programmation francophone et anglophone est injuste et inéquitable. Ils ont la nette conviction que les réseaux français et anglais devraient être traités de la même manière et que le fait de définancer seulement CBC diviserait la population canadienne. Même les francophones réagissent négativement à cette proposition. Ils ne veulent pas alimenter le ressenti du Canada anglais voulant que le Québec obtienne tout. Dans l’ensemble, ils considèrent la campagne pour définancer CBC comme de la petite politique, surtout sachant que le financement de Radio-Canada ne serait pas touché.
« Si vous ne gagnez pas le Québec, vous ne gagnez pas le Canada. »
Apprenant que de nombreux studios de CBC et de Radio-Canada partagent les mêmes infrastructures, les personnes participantes ont vite compris qu’il était impossible de définancer une branche sans nuire à l’autre. Certains ont fait remarquer que des journalistes qui travaillent dans les deux langues seraient également touchés.
« Espérons que cela n’arrive jamais. »
« Le réseau CBC joue un rôle très unificateur à travers le Canada, a dit quelqu’un. Nous nous reconnaissons en lui. L’idée de perdre une partie de cette identité, de cette programmation, de cette équité de couverture entre les différentes régions et communautés… ça fait peur. »
« Il faut que les petites communautés puissent se faire entendre. Tout le monde mérite d’être entendu », a renchéri une participante.
Certains, affirmant que CBC est une référence en matière de journalisme impartial au Canada, redoutent une « détérioration rapide » de la qualité des autres médias d’information si CBC est définancé.
« Les gens comptent sur CBC. Il lui font confiance. Ce serait une catastrophe. »
Et avec la montée des tensions entre le Canada et les États-Unis, cela pourrait se retourner contre les Conservateurs.
« Je comptais voter pour Poilievre, mais maintenant je ne sais plus, a déclaré un participant. On ne peut pas arrêter de financer CBC. Ce réseau a joué un rôle important dans l’intégration de mon père au Canada lorsqu’il est arrivé ici après la Seconde Guerre mondiale. »
« Pierre est à la solde de milliardaires, déclare quelqu’un d’autre. Il veut que CBC disparaisse pour qu’il y ait plus de concurrence et d’influence payée dans les médias. Je ne suis pas d’accord avec cela. »
Arguments contre le définancement
Nous avons testé les arguments suivants :
Voici quelques arguments que d’autres personnes ont avancés pour expliquer pourquoi on devrait continuer de financer CBC/Radio-Canada plutôt que de couper ses fonds. Qu’en pensez-vous?
a) Le Canada tire de l’arrière en matière de radiodiffusion publique. Lorsqu’on le compare à 18 pays semblables dans le monde, le service public canadien arrive au quatrième rang des montants par habitant les plus bas octroyés par les gouvernements.
b) Face à M. Trump qui veut faire du Canada son 51e état, à la menace de tarifs douaniers et aux géants comme Meta, X et Google qui veulent s’approprier nos sources d’information, nous avons besoin plus que jamais de CBC/Radio-Canada!
c) Les fonds accordés au service de radiodiffusion publique ne représentent que 0,12 % (environ un dixième de pour cent) de l’ensemble des dépenses du gouvernement fédéral. Nous devrions investir plus, pas moins, dans CBC/Radio-Canada.
d) CBC/Radio-Canada demeure la source d’actualités la plus regardée, la plus écoutée et la plus respectée au Canada/Québec. La définancer, c’est faire fausse route.
e) Le Canada a perdu 519 médias d’info locale dans les dernières années, faisant de certaines communautés des « déserts d’information » avec très peu de nouvelles locales. Notre gouvernement doit continuer d’investir dans la radiodiffusion publique.
La majorité des personnes participantes ont choisi b) : « Face à M. Trump qui veut faire du Canada son 51e état, à la menace de tarifs douaniers et aux géants comme Meta, X et Google qui veulent s’approprier nos sources d’information, nous avons besoin plus que jamais de CBC/Radio-Canada! » Ce résultat est à l’image de notre principale conclusion, à savoir que les sentiments d’unité et de fierté nationales face aux menaces économiques américaines amènent les Canadiennes et les Canadiens à apprécier ce réseau si typiquement canadien qu’est CBC/Radio-Canada.
Les personnes participantes ont aussi été nombreuses à choisir les arguments sur le modeste financement destiné aux radiodiffuseurs publics, sur le fait que ces derniers sont des sources d’information fiables et sur le fait que le Canada voit disparaître ses médias d’information de proximité. Bien que l’expression « désert d’information » ne soit pas courante, les gens ont compris de quoi il retourne.
Six grands messages pour défendre CBC/Radio-Canada
1. Nous avons plus que jamais besoin de CBC/Radio-Canada. Face aux pressions américaines, le réseau devrait être une source d’unité et de fierté nationales, à l’image de l’identité canadienne : « Il est urgent de s’organiser pour ne pas devenir comme nos voisins. C’est très inquiétant. »
2. Les médias possédés par des milliardaires nuisent à la démocratie et à notre sentiment d’appartenance : « Lorsqu’une chaîne d’information appartient à un milliardaire australien, cela affecte la façon dont les questions sont traitées, car tout passe par un filtre ou un parti pris. J’apprécie que le Canada ait un espace commun auquel tout le monde contribue. Grâce à cela, nous ne sommes pas obligés d’écouter quelque chose qu’un milliardaire a payé. »
3. Tout le monde mérite d’avoir accès à CBC/Radio-Canada. Le service aux communautés éloignées et rurales est particulièrement important pour notre démocratie : « Il est essentiel de préserver les valeurs de diversité et d’inclusion si chères au Canada. »
4. Il faut enrayer la disparition des médias. CBC devrait jouer un rôle dans la réduction des déserts d’information : « Imaginez que chacun ait sa propre version de la réalité canadienne, sans place publique pour en débattre. Pourquoi accepterait-on cela? Pour économiser 0,12 % et leur permettre de bénéficier d’allégements fiscaux? »
5. Définancer CBC entraînerait des pertes d’emplois dans des communautés qui ont besoin d’information locale : « Le marché du travail est déjà plus difficile que d’habitude pour les artistes (les plus jeunes). Pour le peu que cela coûte au gouvernement, même si cela vient de nos impôts, cela en vaut la peine. »
6. Le rapport qualité-prix de CBC/Radio-Canada est excellent : Si l’on considère le budget total de la radiodiffusion publique, « ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan ».
Note : Un contexte d’information complexe
Dans l’ensemble, les participantes et participants sont conscients du rôle joué par CBC et Radio-Canada dans l’univers de l’information, de l’éducation et du divertissement au Canada. Certains sont fidèles à CBC/Radio-Canada depuis toujours. Ces téléspectateurs/auditeurs de longue date sont les plus engagés : le réseau fait partie de leur identité et de leur système de valeurs. Cependant, la plupart des participantes et participants aux groupes de discussion ne limitent pas leur écoute à CBC/Radio-Canada. Ils citent toute une gamme de médias, de CTV à CNN en passant par Global et la BBC, et certains regardent même FOX News juste pour « connaître l’autre version ». Ils consomment également l’information en ligne : CBC Gem a été fréquemment mentionné, ainsi que des sites comme Tik Tok et Facebook. Certains se méfient des médias sociaux, tels que Facebook, qui censurent les informations canadiennes et utilisent des algorithmes pour diffuser de l’information trompeuse. En général, on note un écart de génération entre les participantes et participants plus jeunes et plus âgés, qui accèdent au contenu de CBC de manière différente et n’ont pas le même attachement nostalgique au réseau. Les messages qui s’adressent aux publics plus jeunes doivent être nuancés : ils n’ont pas la même fidélité à la marque, dans l’ensemble, bien qu’ils soient influencés par ce que les plus âgés ont à raconter sur la valeur de CBC.
Comme l’ont mentionné certaines des personnes qui ont participé aux groupes de discussion, l’époque où la population canadienne n’avait accès qu’à deux chaînes de télévision est révolue. La concurrence est forte pour capter l’attention. Dans ce contexte d’information complexe, certains ont du mal à imaginer que CBC/Radio-Canada puisse se voir confier un mandat plus large pour produire encore plus de contenu canadien et servir de paratonnerre unificateur à la population canadienne. En d’autres termes, le monde est en effervescence et si tous s’entendent pour reconnaître le rôle unificateur que CBC/Radio-Canada a joué jadis, ils sont moins unanimes à estimer que ce soit encore possible dans le monde d’aujourd’hui.
Cela dit, la pression exercée par Trump et les États-Unis donne aux participantes et participants le sentiment qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de médias rassembleurs, impartiaux et fidèles aux valeurs canadiennes.
Remerciements
L’auteure tient à remercier Derek Leebosh, vice-président des Affaires publiques d’Environics Research, pour ses observations.