Dans un article paru récemment, Peter Holle soutenait que, pour augmenter le revenu des travailleurs au bas de l’échelle des salaires, il serait préférable de diminuer leurs impôts plutôt que d’augmenter le salaire minimum. Une réduction des impôts des plus pauvres de la société est une excellente idée. Toutefois, on n’a vraiment jamais expliqué pourquoi ces deux mesures devraient se remplacer plutôt que se compléter. En outre, dans ses arguments en faveur de la réduction des impôts, Holle reprend certains mythes courants sur les répercussions du salaire minimum.
Les données dont nous disposons sur l’incidence du salaire minimum sur le marché du travail ne sont pas aussi claires que Holle, ou l’étude de David Pankratz sur laquelle l’article se fonde, voudrait nous faire croire. Par exemple, Pankratz affirme que, chez les auteurs du domaine de l’économie, il y a consensus sur le fait qu’une augmentation de 10 % du salaire minimum entraînerait une réduction de l’emploi des adolescents d’environ 1 % à 3 %. Ce « consensus » n’est pourtant pas aussi généralisé que Holle ou Pankratz le prétendent. Leur réflexion s’appuie sur quelques études des années 1980, mais un article d’Alan Krueger, publié en 2001 dans la revue Economic Education, rapporte beaucoup plus de données à l’appui de l’hypothèse d’une faible réduction de 1 % plutôt que de 3 %. Des études plus récentes arrivent même à un résultat encore plus faible, soit une réduction de 0,6 %. En réalité, l’étude de Pantratz et l’article de Holle ne font état que d’un côté de la médaille qui est en fait un débat bien réel entre les économistes sur les répercussions du salaire minimum.
Le débat le plus récent sur le sujet prend racine dans l’article rédigé en 1994 par David Card et Alan Krueger qui ont étudié une expérience vécue, soit l’augmentation du salaire minimum au New Jersey de 4,25 $ à 5,05 $, pour vérifier les répercussions d’une telle augmentation sur l’emploi dans le domaine de la restauration rapide, choisi comme exemple d’emplois à faible salaire. À la grande surprise de nombreux économistes, ces chercheurs ont constaté que l’augmentation du salaire minimum n’exerce pas d’effets importants sur l’emploi. Cette constatation, que Holle oublie de mentionner, a déclenché un débat dans l’American Economic Review en l’an 2000. David Neumark et William Wascher soutenaient que l’étude de 1994 prenait appui sur des données erronées qui ont mené les auteurs à une fausse conclusion. En évaluant la même augmentation du salaire minimum dans la même industrie et en utilisant leur série de données améliorée, Neumark et Wascher ont constaté que l’emploi avait en fait diminué. Ayant la possibilité de répondre dans le même numéro de la revue, Card et Krueger ont abordé le problème avec les mêmes données que leurs critiques, retirant leur propre nouvelle série de données améliorée, et ont estimé les répercussions de l’augmentation du salaire minimum au New Jersey, et de celle du fédéral qui, en 1996, avait fait passer le salaire minimum de 4,24 $ à 4,75 $. Leurs observations tant dans le cas du New Jersey que du fédéral ont confirmé leurs conclusions de 1994, à savoir que « de faibles changements du salaire minimum n’ont guère d’incidence systémique sur l’emploi ».
La controverse au sujet du salaire minimum et la dispute concernant les meilleures sources de données illustrent bien la difficulté que pose l’expérience empirique en sciences sociales. Toutefois, il est au moins possible de conclure qu’il existe un sérieux doute quant à l’augmentation réelle du taux de chômage des travailleurs à faible salaire due à l’augmentation du salaire minimum. C’est peut-être pour cette raison qu’un récent sondage de David Colander auprès d’étudiants des cycles supérieurs en économie de six grandes universités américaines, publié dans The Journal of Economic Perspectives, a révélé que seulement 34 % des répondants approuvaient l’énoncé suivant : « Un salaire minimum augmente le chômage chez les jeunes travailleurs non qualifiés. »
Le débat sur les répercussions d’une augmentation du salaire minimum sur l’emploi ne se limite pas à une guerre de mots empirique pour les personnes qui comptent chacun de leurs sous. Si la proportion de personnes ayant un emploi diminue moins que l’augmentation du salaire minimum (« inélastique » en termes économiques), une augmentation du salaire minimum peut alors augmenter le revenu général du groupe formé par les petits salariés. Cela signifie qu’une augmentation du salaire minimum, loin d’accroître la pauvreté, peut en fait la réduire puisque l’accroissement des salaires d’un grand nombre contrebalancerait la diminution du petit nombre qui perdront leur emploi. Compte tenu des récents résultats de la recherche empirique sur le salaire minimum, on s’étonne que des auteurs continuent de soutenir qu’il s’agit d’une politique terriblement mal éclairée. Cela s’explique probablement en partie par l’existence d’un lien étroit entre le salaire minimum et le chômage correspondant théoriquement au modèle de l’offre et de la demande qui est au cœur de la théorie des prix en matière d’économie. À la grande satisfaction des économistes adeptes du néolibéralisme, cette argumentation fournit un excellent exemple du modèle du « danger » de l’intervention gouvernementale dans le fonctionnement du marché. Par contre, cet attrait sur le plan théorique n’explique pas à lui seul pourquoi on persiste à affirmer que les augmentations du salaire minimum se font au détriment des travailleurs à faible salaire. Les centres de recherche d’orientation néolibérale, tels que le Cato Institute aux É.-U. et l’Institut Fraser au Canada, condamnent à cors et à cris toute augmentation du salaire minimum. Si l’opposition à toute intervention gouvernementale dans le fonctionnement du marché est en accord avec l’idéologie du marché libre de ces centres d’études et de recherches, elle fait aussi l’affaire des entreprises qui les financent.
Il est certain qu’il serait dans l’intérêt public de tenir un honnête débat sur toute la documentation pertinente en matière d’économie.
Monsieur Ian Hudson est professeur agrégé d’économie et associé de recherche de l’Université du Manitoba et du CCPA — Manitoba.