Résumé

Face à l’intention déclarée du Parti Conservateur du Canada d’ériger en enjeu électoral fédéral la question du financement public de la radiodiffusion publique avec son slogan « définancer CBC », la situation mérite d’être examinée dans un contexte plus large. Dans la présente analyse, nous comparons le financement fédéral accordé à CBC/Radio-Canada à celui que 18 autres pays comparables allouent à la radiodiffusion publique.

Voici nos constatations.

Le financement alloué par le Canada est plus faible que celui qu’accordent la plupart des autres pays : CBC/Radio-Canada reçoit beaucoup moins de fonds publics par habitant que la plupart des pays de notre échantillon international. En 2022, dans les 18 autres pays étudiés, le financement public de la radiodiffusion publique par habitant s’établissait à 78,76 $ en moyenne, contre 32,43 $ pour CBC/Radio-Canada, soit seulement 41 % de la moyenne internationale.

Quatrième pays le moins financé par habitant : Sur les 19 pays étudiés, seuls les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Portugal allouent un financement public par habitant inférieur à celui du Canada. Compte tenu de son obligation de traiter de questions locales, régionales et nationales en anglais et en français dans un aussi vaste pays à faible densité de population, la capacité de CBC/Radio-Canada à fournir une programmation aussi excellente pour 10 cents par jour par habitant a de quoi impressionner.

Une part moins importante des dépenses publiques : En pourcentage des dépenses publiques totales, CBC/Radio-Canada obtient un financement nettement plus faible. La moyenne des 19 pays étudiés est de 0,242 % des dépenses publiques totales, contre 0,12 % pour le Canada, soit 50 % de moins. Parmi ces 19 pays, seuls les États-Unis et la Nouvelle-Zélande consacrent une part plus faible de leurs dépenses publiques totales à ce financement.

Un recours plus important aux sources de financement commercial : CBC/Radio-Canada dépend davantage des revenus commerciaux que la plupart des radiodiffuseurs publics des autres pays étudiés. Seuls trois des diffuseurs publics de l’échantillon, soit ceux d’Irlande, d’Italie et de Nouvelle-Zélande, comptent davantage sur des revenus de publicité et de commandite que CBC/Radio-Canada.

La population canadienne fait confiance aux radiodiffuseurs publics : Chez les francophones, 78 % des répondants à un sondage considèrent que Radio-Canada est le réseau d’information le plus digne de confiance. TVA arrive en deuxième position avec 69 % des répondants. Chez les anglophones, 67 % des répondants jugent que CBC est le réseau d’information le plus digne de confiance. CTV arrive en deuxième position avec 62 % des répondants. CBC est le réseau le plus regardé, avec 64 % des répondants qui le regardent régulièrement ou de temps en temps.

Dans l’ensemble, les résultats de notre étude suggèrent que les Canadiennes et les Canadiens en ont largement pour leur argent en ce qui a trait au financement public des diffuseurs publics. Le réseau CBC/Radio-Canada reçoit beaucoup moins d’aide gouvernementale que les diffuseurs de la plupart des autres pays étudiés dans le cadre de notre analyse, mais il n’en reste pas moins la source d’information la plus regardée, la plus écoutée et la plus digne de confiance.

Introduction

Pour l’exercice terminé le 31 mars 2024, CBC/Radio-Canada a reçu 1 436 652 000 $ d’aide financière du gouvernement du Canada. Pour une population de 39 millions d’habitants, ce montant équivaut à 10 cents par jour par personne.

Les défenseurs et les détracteurs de la radiodiffusion publique sont en désaccord concernant l’utilisation des fonds publics pour financer les activités de CBC/Radio-Canada. Malgré les sondages qui montrent que CBC/Radio-Canada est la source d’information la plus digne de confiance1, une importante minorité de la population est favorable à une diminution, voire à une suppression du financement gouvernemental au radiodiffuseur public du Canada2.

Au Canada, les débats sur le financement de la radiodiffusion publique sont souvent stériles et évitent pratiquement d’aborder les avantages découlant du fait qu’un pays aussi diversifié géographiquement et culturellement que le Canada ait un média public national.

Il n’est pas facile de quantifier l’importance du rôle joué par CBC/Radio-Canada pour ce qui est d’assurer une couverture factuelle des événements nationaux et internationaux et de diffuser une information favorisant la compréhension et la tolérance dans un pays bordé par trois océans, s’étendant sur cinq fuseaux horaires et ayant deux langues nationales.

Les détracteurs du financement public alloué à CBC/Radio-Canada se concentrent uniquement sur le montant du financement et s’abstiennent souvent d’évoquer ces avantages importants, mais non quantifiables.

Pour mettre le financement public alloué à CBC/Radio-Canada en perspective, une comparaison de l’expérience canadienne avec celle d’autres pays peut s’avérer utile, d’où notre analyse qui compare le financement des diffuseurs publics du Canada et de 18 autres pays.

Méthodologie

Deux méthodes peuvent être utilisées pour établir des comparaisons significatives entre des pays présentant d’énormes différences en termes de taille, de population et de priorités de dépenses. La première consiste à exprimer le financement public de la radiodiffusion publique par habitant afin de pouvoir établir des comparaisons entre des pays aux populations de tailles différentes. La seconde consiste à comparer les montants en pourcentage des dépenses publiques totales afin de situer le financement de la radiodiffusion publique dans le contexte de l’ensemble des dépenses et des priorités des différents gouvernements.

Le cabinet de conseil Nordicity3 compare régulièrement le financement public des radiodiffuseurs de service public, y compris par habitant et en pourcentage des dépenses publiques totales. Les résultats de son dernier rapport sont présentés dans le tableau 1.

Une comparaison internationale des montants de financement public des radiodiffuseurs de service public permet de mettre en perspective la contribution financière du gouvernement canadien à CBC/Radio-Canada. Elle ne permet cependant pas d’évaluer la qualité des services fournis.

D’autres mesures, telles que la proportion de la population qui regarde ou écoute les radiodiffuseurs nationaux de service public et le niveau de confiance qu’elle leur accorde, peuvent servir d’indicateurs de la qualité des services selon la perception du public.

Outre l’aspect du financement, notre étude s’intéresse aux radiodiffuseurs de service public sous les angles de la confiance et de l’écoute.

Il est important de noter que les comparaisons relatives au financement gouvernemental ne tiennent pas forcément compte du revenu total des diffuseurs publics nationaux étudiés. Certains d’entre eux perçoivent des revenus publicitaires provenant de sources publiques et privées, ainsi que d’autres types de revenus, tels que des dons de particuliers et d’entreprises et des revenus de location de biens immobiliers, de vente de contenu et de location d’espaces sur les sites de transmission, auxquels s’ajoutent des redevances de retransmission et de commandite.

Les revenus tirés des publicités des différents paliers de gouvernement sont comptabilisés en tant que tels dans le tableau 1.

Coût par habitant : Où se situent les diffuseurs publics canadiens?

Le cabinet de conseil Nordicity publie périodiquement des rapports comparant les radiodiffuseurs de service public (RSP) sous plusieurs angles, notamment celui du financement public reçu.

Comme l’indique le tableau 1, CBC/Radio-Canada reçoit beaucoup moins de financement gouvernemental par habitant que les diffuseurs publics de la plupart des pays de l’échantillon international.

À titre d’exemple, dans les 18 autres pays étudiés, le financement public de la radiodiffusion publique s’établissait en moyenne à 78,76 $ par habitant en 2022, alors que celui de de CBC/Radio-Canada s’établissait à 32,43 $ par habitant, soit seulement 41 % de la moyenne internationale. Sur les 19 pays étudiés, seuls les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Portugal ont un financement public par habitant inférieur à celui du Canada.

De plus, la part des dépenses publiques totales consacrée au financement de CBC/Radio-Canada est beaucoup plus faible que dans les autres pays. Pour les 19 pays étudiés, le financement moyen de la radiodiffusion publique s’établissait à 0,242 % des dépenses publiques totales, contre 0,12 % pour le Canada, soit 50 % de la moyenne internationale. Sur les 19 pays étudiés, seuls les États-Unis et la Nouvelle-Zélande ont consacré un pourcentage inférieur de leurs dépenses publiques totales au soutien de leurs radiodiffuseurs de service public.

CBC/Radio-Canada dépend davantage de ses revenus commerciaux que les diffuseurs publics de la plupart des autres pays étudiés. Seuls trois diffuseurs de l’échantillon—ceux d’Irlande, d’Italie et de Nouvelle-Zélande—dépendent davantage des revenus publicitaires et de commandite que CBC/Radio-Canada.

CBC/Radio-Canada se distingue depuis longtemps par une plus grande dépendance aux revenus commerciaux et une dépendance moindre au soutien financier de l’État, comme l’ont confirmé d’autres études internationales4.

Le rapport Public Service Broadcasting in an International Comparison, disponible sur EconStor, utilise les données d’un rapport Nordicity de 2013 et constate que 16 des 19 pays ont déclaré des taux de financement public de la radiodiffusion publique par habitant qui étaient significativement plus élevés que celui du Canada.

Confiance et écoute : Où se situent les diffuseurs publics canadiens?

Comme nous l’avons vu précédemment, les Canadiennes et les Canadiens consacrent une part beaucoup moins importante de leurs impôts à leurs diffuseurs publics que les citoyens de la plupart des autres grands pays occidentaux. Mais à quelle qualité de services ont-ils accès? Choisissent-ils leurs diffuseurs publics pour suivre les nouvelles? Font-ils confiance à CBC/Radio-Canada pour leur dire la vérité? Comment se positionne le Canada par rapport aux autres pays étudiés sur ces plans?

Tous les radiodiffuseurs sont confrontés à des défis majeurs pour maintenir leur part de marché face à la concurrence croissante des sources numériques d’information et de divertissement. On observe également une baisse constante de la confiance du public dans les institutions et les médias dans de nombreux pays.

Le baromètre de confiance Edelman de 2024 a sondé 1 150 personnes dans chacun des 28 pays étudiés afin de déterminer dans quelle mesure elles faisaient confiance aux médias. En moyenne, dans les neuf pays de l’Union européenne couverts par le sondage, 40 % des répondants font confiance aux médias. Par rapport à l’année précédente, le niveau de confiance du public a significativement chuté aux États-Unis et au Royaume-Uni, où il s’établit à 39 % et 31 % respectivement. Au Canada, il atteint 51 %, soit un point de plus que l’année précédente. Ainsi, alors que la confiance du public envers les diffuseurs publics diminue aux États-Unis et au Royaume-Uni, elle reste relativement stable au Canada.

Le Reuters Institute publie chaque année son Digital News Report5, une analyse complète des médias à l’échelle internationale qui évalue également la confiance du public, aussi bien sur une échelle nationale que pour des radiodiffuseurs spécifiques. Ce rapport interroge 2 150 personnes dans chacun des 46 pays étudiés. En ce qui concerne la confiance dans les médias nationaux, l’enquête pose la question suivante : « Veuillez indiquer dans quelle mesure vous êtes d’accord avec l’affirmation qui suit : Je pense qu’on peut faire confiance à la plupart des informations la plupart du temps ». En ce qui concerne la confiance accordée à certains diffuseurs d’information, les répondants sont invités à évaluer leur niveau de confiance par la question suivante : « Quel degré de fiabilité accordez-vous aux nouvelles diffusées par les médias suivants? »

Dans un contexte où les gens sont de plus en plus nombreux à se méfier des « fausses nouvelles » et des « vérités alternatives », les radiodiffuseurs de service public (RSP) demeurent les sources d’information les plus fiables. Comme l’indique le tableau 2, ils figurent parmi les sources d’information les plus fiables dans presque tous les pays. Dans chaque pays, le niveau de confiance envers les diffuseurs publics est significativement plus élevé qu’envers les médias en général. Au Canada, les répondants francophones considèrent Radio-Canada comme l’un des diffuseurs publics les plus fiables.

Dans les deux tiers des pays couverts par le sondage Reuters, les diffuseurs publics détiennent la plus grande part de marché en termes d’écoute, comme en témoigne le niveau déclaré d’utilisation hebdomadaire. Par ailleurs, les diffuseurs publics développent de plus en plus leurs services en ligne. À titre d’exemple, les sites Web anglophones de CBC sont aujourd’hui la source d’information en ligne la plus visitée au Canada.

Tableau 2 : Radiodiffuseurs de service public : Confiance et écoute, 2024

Les valeurs en gras indiquent les meilleurs classements (premier ou deuxième) en termes de confiance du public et de portée hebdomadaire

Un portrait plus complet de la situation canadienne

Les tailles d’échantillon des sondages Edelman et Reuters pour le Canada sont respectivement de 1 150 et 2 150 répondants. Dans le sondage Reuters, les résultats pour le Canada sont séparés selon l’appartenance linguistique, ce qui a réduit la taille des échantillons. Pollara Strategic Insights a mené un sondage plus récent et plus poussé auprès de 3 500 Canadiennes et Canadiens, dont 700 Québécoises et Québécois. Ses résultats concordent largement avec ceux d’Edelman et de Reuters.

Dans la population francophone :

  • Radio-Canada est la source d’information la plus fiable, 78 % des répondants la trouvant digne de confiance et seulement 15 % non.
  • La deuxième position revient à TVA, avec 69 % des répondants qui la trouvent digne de confiance et 28 % non.
  • TVA est également la chaîne la plus écoutée, avec 80 % des répondants qui la regardent régulièrement ou occasionnellement.
  • Radio-Canada la talonne en deuxième position, avec 78 % des répondants qui la regardent régulièrement ou occasionnellement.

Dans la population anglophone :

  • CBC est la source d’information la plus fiable, 67 % des répondants la trouvant digne de confiance et seulement 21 % non.
  • CTV occupe la deuxième position, avec 62 % des répondants qui la trouvent digne de confiance et 17 % non.
  • La chaîne la plus écoutée est CBC, avec 64 % des répondants qui la regardent régulièrement ou occasionnellement.
  • CTV arrive en deuxième position, avec 57 % des répondants qui la regardent régulièrement ou occasionnellement.

Un autre sondage récent mené par le Centre pour les médias, la technologie et la démocratie6 auprès des Canadiennes et des Canadiens a donné des résultats similaires concernant la confiance et l’écoute. Réalisé auprès de 2 055 adultes canadiens du 28 août au 6 septembre 2024, il révèle également que 57 % des répondants augmenteraient (24 %) ou maintiendraient (33 %) le financement si on leur demandait quoi faire avec le budget alloué à CBC/Radio-Canada. De plus, 79 % des répondants estiment que les médias de service public sont tout aussi importants, voire plus importants qu’auparavant face à l’essor des médias sociaux.

Conclusion

Malgré un financement public moins généreux que celui qu’allouent d’autres pays comparables, CBC/Radio-Canada, le radiodiffuseur public national du Canada, est une source d’information et de divertissement que les Canadiennes et les Canadiens estiment fiable et apprécient. CBC/Radio-Canada reçoit un financement nettement inférieur à celui de la majorité des radiodiffuseurs de service public d’autres pays comparables. Son financement par habitant se classe à 41 % de la moyenne internationale, et sa part des dépenses publiques totales du Canada n’est que de 0,12 %, soit moins de la moitié de la moyenne internationale.

Les Canadiennes et les Canadiens en ont pour leur argent avec les services publics de radiodiffusion du Canada. Les auditeurs le savent bien, puisqu’ils répondent en syntonisant régulièrement ces services qu’ils connaissent et auxquels ils font confiance.

Remerciement

L’auteur remercie Erika Shaker, Trish Hennessy et Amanda Klang pour leurs commentaires sur le présent rapport.

Notes

  1. Selon Pollara Strategic Insights, un sondage réalisé en 2024 révèle que CBC et Radio-Canada sont les médias auxquels les Canadiennes et les Canadiens font le plus confiance.
  2. Des sondages menés par Mainstreet Research en 2022 et 2024 montrent qu’une importante minorité de Canadiennes et de Canadiens est favorable à la suppression ou à la réduction du financement de CBC.
  3. Nordicity Ltd., International Comparison of Public Funding for Public Service Broadcasting 2022, 12 septembre 2024.
  4. Rövekamp, Ingmar. « Public Service Broadcasting in an International Comparison », CESifo DICE Report, ISSN 1613-6373, ifo Institut—Institut Leibniz de recherche économique de l’Université de Munich, 2014, vol. 12, no 3, p. 51-53.
  5. Reuters Institute for the Study of Journalism, Digital News Report, 2024.
  6. Centre pour les médias, la technologie et la démocratie de l’Université McGill, Do We Need the CBC? A national survey of Canadians on public service media, 2024.