OTTAWA—Le système de santé de l’Ontario est menacé par la privatisation insidieuse du financement et des soins, ainsi que par les compressions budgétaires, selon une nouvelle étude, Unsafe Practices, publiée aujourd’hui par le Centre canadien de politiques alternatives.
On assiste à un transfert des coûts du secteur public aux ménages, tandis que les soins offerts dans le secteur public sont en voie de réduction, de restructuration et de rationnement. Par ailleurs, les stratégies et les idéologies de gestion du secteur privé envahissent les hôpitaux et les autres institutions du système.
Selon l’auteur de l’étude, Paul Leduc Browne, ´on compte parmi les conséquences de la privatisation l’augmentation des coûts et la diminution de l’efficacité du système, l’accès réduit aux soins et la baisse de leur qualité, ainsi que la perte du contrôle public de ces services essentielsª.
L’étude passe en revue les politiques et les dépenses du gouvernement de l’Ontario au chapitre de la santé depuis 1995. L’auteur se penche tour à tour sur les hôpitaux, les laboratoires médicaux, les services ambulanciers, et les soins primaires, de longue durée, et à domicile. Près de la moitié du rapport est consacrée à une étude approfondie des soins à domicile.
´Les gens savent que tout ne va pas pour le mieux dans notre système de santéª, de dire M. Browne, ´car ils ont vu les hôpitaux fusionner ou fermer, ils ont entendu parler des salles d’urgence bondées. Mais les causes de cette crise leur sont moins apparentes.ª
Unsafe Practices décèle les racines de la crise dans le processus de privatisation qui envahit les soins de santé en Ontario. Fort d’une rhétorique de la ´réinvention de l’Étatª, de l’´empowermentª et des ´soins communautairesª, le gouvernement a drainé des milliards de dollars des soins de santé de l’Ontario.
Les dépenses réelles par habitant du gouvernement provincial au chapitre de la santé ont chuté de 1 791 dollars en 1994-1995 à 1 682 dollars en 1997-1998. Les prévisions gouvernementales indiquent que les dépenses au chapitre de la santé augmenteront à 1 850 dollars par habitant en 2000-2001.
Cependant, malgré cette hausse, la perte cumulative subie par le système de santé entre 1995 et 2001 est dramatique: 259 dollars de moins par habitant de l’Ontario. Compenser cette perte coûterait 3 milliards de dollars au gouvernement provincial.
´En raison de ces compressions, les citoyens de l’Ontario paient davantage de leur poche, se passent de soins, ou sont obligés de supporter des services réduitsª, selon Paul Leduc Browne.
La province a transféré de plusieurs façons le coût des soins aux individus et aux ménages. Par exemple, les personnes âgées et les prestataires de l’aide sociale doivent depuis 1995 assumer une partie des frais des ordonnances des médecins. Ces ´co-paiementsª leur ont coûté 200 millions de dollars en frais directs en 1997-1998 et 215 millions de dollars en 1998-1999 (chiffres les plus récents), soit 15 p. cent du coût de ces médicaments.
La privatisation fait aussi des ravages au niveau de la prestation des services. Les hôpitaux achètent de nombreux services à des entreprises privées à but lucratif, par exemple les services de gestion, les laboratoires, la buanderie et la préparation des aliments. Le gouvernement provincial a livré les services ambulanciers et les soins à domicile à la concurrence, ouvrant la porte à une présence nouvelle et accrue des entreprises à but lucratif. Alors que les patients quittent plus tôt l’hôpital pour convalescer à la maison, une portion croissante des soins est assumée par leurs familles et leurs voisins, ou n’a tout simplement plus lieu.
Cinquante p. cent des personnes qui ont besoin de soins à domicile doivent en acheter eux-mêmes une partie significative ou sont obligées d’avoir recours aux efforts non-rémunérés de leurs familles et de leurs voisins. Une plus grande partie des besoins de soins n’est pas comblée chez les femmes que chez les hommes. Il arrive aussi davantage que le besoin de soins ne soit pas comblé chez les personnes âgées ayant des revenus plus modestes et un niveau moins élevé de scolarisation.
Ouvrir la porte à une présence accrue des entreprises à but lucratif dans les soins à domicile entraîne plusieurs effets inquiétants: fermeture d’agences sans but lucratif respectées qui ont servi leurs communautés locales depuis des décennies; départ vers les États-Unis d’infirmières et d’infirmiers, dont il y a pénurie en Ontario; perte de confiance et déclin de la collaboration entre agences; diminution de la continuité des soins apportés aux personnes âgées; création d’une nouvelle bureaucratie coûteuse pour assurer la gestion de la concurrence; affectation au marketing et à l’administration de ressources qui auraient pu être affectées aux soins.
Par ailleurs, l’allocation des fonds aux soins à domicile par le gouvernement provincial n’est plus transparente depuis la création des Centres d’accès aux soins communautaires. ´Les Centres d’accès aux soins communautaires dépensent 1,5 milliards de dollars de nos impôts,ª selon Paul Leduc Browne. ´Pourtant le gouvernement provincial refuse de divulguer le nom des agences qui reçoivent l’argent ou les montants qui leur sont octroyés. Le droit de regard des contribuables a été une des premières victimes de la privatisation.ª
Paul Leduc Browne est Chercheur principal au Centre canadien de politiques alternatives. Il est l’auteur de nombreuses études sur la politique sociale au Canada.