Fast Facts: Le mythe des politiques économiques néolibérales

January 10, 2008

« Le gouvernement ne peut pas choisir le gagnant, mais les perdants peuvent choisir le gouvernement. » Ancien sous-ministre canadien de l’Industrie, monsieur V. Peter Harder cité dans The New York Times, le 28 août 2001.

Cette citation reflète une critique souvent répétée du rôle de l’État dans notre société. C’est une notion admise alors que les politiques économiques des néolibéraux dominent le débat public. Nous devons étudier les promesses de la théorie des politiques économiques des néolibéraux, qui font peu de cas de toute mesure gouvernementale qui ne contribue pas à une augmentation immédiate des profits, à la lumière de leurs résultats. Comme nous le verrons, les résultats ne sont pas à la hauteur des promesses.

Les néolibéraux prétendent que c’est la concurrence entre les entreprises qui tentent de maximiser leurs profits qui crée l’innovation, et non le gouvernement. Ce mythe néglige le fait que les sociétés n’entreprennent des recherches importantes sur le plan social que si elles peuvent en tirer beaucoup de profits. Si on regarde ce qui s’est fait antérieurement, un bon nombre des plus importantes inventions, allant d’Internet au moteur d’avion à réaction, en passant par les satellites de communication, ont été mises au point par l’État. L’industrie des médicaments fournit un autre exemple où l’industrie privée obtient à tort le crédit de l’innovation. La longue période de protection par brevet des nouveaux médicaments et les prix élevés qui en résultent sont presque exclusivement justifiés par les coûts de la recherche et du développement associés à la création de nouveaux produits pharmaceutiques. Pourtant, selon la Coalition canadienne de la santé, 97 % des nouveaux médicaments sur le marché n’offrent aucune amélioration par rapport à ce qui existait déjà. Par contre le comité économique conjoint étatsunien du Congrès rapporte que, parmi les 21 médicaments qui ont eu le plus de répercussions sur la pratique thérapeutique de 1965 à 1992, la recherche financée par les fonds publics a joué un rôle décisif dans la préparation de 16 d’entre eux (76 %).

    La théorie des politiques économiques des néolibéraux prétend également que la répartition du revenu par le gouvernement interfère avec l’action juste et efficace du marché du travail. Un marché sans entrave est juste, selon cette théorie, parce que les salaires des employés sont équivalents à leur contribution à la valeur de la production. Il est efficace, parce qu’il incite les travailleurs à remplir des emplois valorisés par la société. La répartition du revenu par le gouvernement interfère avec le déroulement sans heurt du marché du travail. Le salaire minimum est un bon exemple.

    D’après Milton Friedman, « si les lois sur le salaire minimum exercent un effet quelconque, elles augmentent la pauvreté » en diminuant le nombre de travailleurs que les entreprises sont prêtes à embaucher. Mais l’expérience n’appuie pas cette conclusion. La meilleure étude sur les répercussions d’une augmentation du salaire minimum est sans doute celle de David Card et Alan Kreuger qui ont découvert que « de modestes modifications du salaire minimum ont peu d’effet sur l’emploi en général ». L’augmentation du salaire minimum réduit en fait la pauvreté, car les gains en salaire de ceux qui continueraient de travailler dépassent les pertes des quelques-uns qui pourraient devenir sans emploi.

Les néolibéraux affirment également que la réglementation gouvernementale n’est ni nécessaire ni efficace. Elle serait inutile, car les entreprises, qui ont à maintenir leur bonne réputation, ne fabriqueront pas des produits qui nuiront à leurs employés et aux consommateurs. Elle serait inefficace parce que les coûts accrus pour les entreprises dépasseraient les avantages pour les consommateurs. Cette logique a mené à la diminution de l’activité de réglementation en dépit du fait que l’histoire économique est riche de produits, comme le tabac, le plomb et la Pinto de Ford, qui révèlent la nécessité d’une règlementation par le gouvernement. Tant que leurs profits dépasseront leurs coûts, les entreprises tueront leurs clients en bonne connaissance de cause et feront pression sur les gouvernements pour qu’ils leur facilitent la tâche. Dans tous les cas, ce n’est pas la pression exercée par la concurrence du marché qui a augmenté la sûreté du produit, mais la supervision du gouvernement par le biais de la réglementation.

Par exemple, durant la première moitié du vingtième siècle le plomb était considéré comme une matière utile. Il a été utilisé dans la peinture, les tuyaux et les batteries de voiture, comme additif à l’essence et même pour souder les boîtes de conserve. Les problèmes de santé ont été découverts au début de 1908 lorsqu’on a observé
que des travailleurs de l’industrie du plomb souffraient d’un taux anormalement élevé de maladies graves et de décès prématurés. Malgré l’abondante accumulation de preuves sur conséquences néfastes du plomb pour la santé, l’industrie a mené un combat d’arrière-garde très efficace pour retarder l’adoption des règlements contre l’usage du plomb. La Lead Industries Association a contesté toutes les limites d’utilisation du plomb, tant à l’échelle de l’État qu’à l’échelle du pays, parvenant ainsi à retarder la réglementation sur la sécurité du consommateur et des travailleurs. L’industrie a si bien mené son jeu que ce n’est qu’en 1971 que le gouvernement fédéral a rendu hors la loi l’utilisation du plomb dans la peinture intérieure. Dans d’autres pays où de tels règlements n’existent pas, on trouve encore du plomb dans les produits destinés aux consommateurs.

Enfin, les politiques économiques des néolibéraux axées sur les décisions individuelles et sur les solutions du marché négligent ce qui a vraiment eu une influence sur la santé humaine, soit les conditions économiques et sociales. La médecine tente généralement d’améliorer la santé en agissant sur les gènes, les microbes et les styles de vie associés à des maladies données. Mais cette ligne de conduite n’est pas la principale responsable de la réduction des maladies infectieuses courantes au 19e siècle, et n’est pas vraiment parvenue à éliminer le cancer ou les cardiopathies, soit les deux principales causes de décès. L’amélioration du niveau de vie par une meilleure hygiène et l’augmentation du revenu ont entraîné une importante diminution des maladies infectieuses au début du 20e siècle. Malheureusement, la pollution issue des techniques de production, qui a partiellement contribué à cette augmentation du revenu, est maintenant la principale cause de nos problèmes de santé actuels. En 2001, les industries canadiennes émettaient 18 455 237 kilogrammes de carcinogènes connus dans l’atmosphère, le sol et l’eau. La médecine telle qu’on la connaît, aussi coûteuse soit-elle, ne peut pas parvenir à améliorer la santé tant que ces causes sociales, économiques et environnementales persistent.

    Il est temps de faire la part des choses entre le mythe néolibéral et la réalité économique. Le milieu de la politique néolibérale actuelle fait en sorte que notre société est en moins bonne santé, plus dangereuse, moins stable, moins équitable, moins juste et moins efficace.

Robert Chernomas et Ian Hudson enseignent au département d’économie de l’Université du Manitoba et sont associés de recherche au CCPA. Le présent feuillet d’information est inspiré de leur ouvrage intitulé Social Murder and Other Shortcomings of Conservative Economics. 

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