Mettre fin à la violence faite aux femmes

comprendre les liens qui existent entre la violence directe et la violence structurale
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December 20, 2007

Le massacre de l’École Polytechnique à Montréal, il y a 18 ans, n’est malheureusement pas un cas isolé. Tous les 6 décembre, nous honorons la mémoire des quatorze femmes assassinées à l’occasion de la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, mais souvenons-nous aussi de nos 500 sœurs autochtones disparues ou assassinées, et de toutes les personnes qui ont subi les conséquences de la violence.

Comment pouvons‑nous donner un sens à cette violence? En tant que travailleuse sociale et porte-parole depuis les quinze dernières années, j’ai eu l’honneur de travailler avec des centaines de femmes qui ont bien voulu me faire part de leur vécu. L’expression de leur sagesse jette un pont d’espoir entre le chagrin et la compassion, et permet de renforcer nos collectivités en leur injectant de l’espoir, de la douceur et de la justice pour tous.

La violence directe faite aux femmes mine la structure de notre collectivité. Dans les familles, les filles représentent 80 % des victimes d’agression sexuelle. Parmi les femmes adultes, la moitié seront agressées au moins une fois dans leur vie, physiquement ou

sexuellement. Les femmes constituent 76 % des personnes qui sont traquées. Au Canada, 100 000 femmes et enfants se présentent chaque année dans nos 500 centres d’hébergement pour femmes, et nous devons en refuser beaucoup d’autres. Depuis 1961, les femmes représentent 97 % des personnes qui sont assassinées par leur partenaire masculin dans plus de 900 meurtres-suicides au Canada. Puisque la plupart des actes de violence faite aux femmes ne sont pas signalés, ces chiffres alarmants de violence directe ne sont que la pointe de l’iceberg.

La violence structurale, une autre forme de violence, permet à la violence directe de persister. Comme l’affirme le Dr Bob Mullaly dans un ouvrage qui paraîtra bientôt, la violence structurale, sous la forme de politiques sociales, de structures et d’institutions, tuent également les femmes, quoique plus lentement, par les pratiques d’exclusion que sont le classisme, le racisme, le sexisme et l’hétérosexisme. La domination et l’exploitation sociales, économiques et politiques abrègent la vie des femmes. C’est ainsi que la violence structurale et la violence directe sont directement liées.

La pauvreté est une forme de violence structurale faite aux femmes. Le taux de pauvreté chez les femmes est habituellement plus élevé que chez les hommes en raison des inégalités que l’on retrouve dans la population active rémunérée et des responsabilités à l’égard des enfants. Les mères monoparentales sont pauvres dans une proportion de 50 %. Chez les Autochtones, c’est 40 % des femmes qui sont pauvres, et 30 % des femmes handicapées et issues des minorités visibles sont pauvres. Enfin, 20 % des femmes nouvellement immigrées sont pauvres.

Notre pauvreté, qui est en soi un produit de la discrimination sexuelle, nous expose aux agressions, car elle nous oblige à attendre un autobus ou un taxi dans une rue sombre. La pauvreté nous force à louer des logements non sécuritaires, y compris des rez‑de‑chaussées et des sous‑sols. Les femmes subordonnées sur le plan social et économique sont particulièrement vulnérables à la violence. Les immigrantes et les réfugiées, généralement sous‑payées et travaillant souvent comme aide domestique, un secteur non réglementé, sont fréquemment menacées d’expulsion si elles se plaignent d’être maltraitées. En tant que nouvelles arrivantes dans notre pays, elles ne comprennent pas leurs droits et demeurent prises au piège. Nos sœurs qui travaillent dans le commerce du sexe pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants sont extrêmement vulnérables à la violence physique et sexuelle et courent le risque d’être assassinées. Celles qui sont en prison le sont pour des délits liés à la pauvreté dans 80 % des cas, et plusieurs d’entre elles subissent de la violence de la part des gardiens de prison. Même dans le milieu de l’enseignement, nous devons faire face à une inégalité économique. En tant que diplômées universitaires, les femmes gagnent moins que les hommes, et la disparité augmente au lieu de diminuer tout au long de notre cheminement de carrière. Les nouvelles diplômées gagnent seulement 84 % de ce que gagnent leurs homologues masculins et, à l'approche de la retraite, leur salaire équivaut à seulement 60 % de celui des hommes.

Les Canadiens sont sensibilisés à la violence faite aux femmes depuis 30 ans. Mais malgré le fait que les femmes représentent 52 % de la population, la violence ne fait toujours pas partie des plus grandes priorités dans l’élaboration des politiques et l’allocation des ressources. Les enquêtes policières inefficaces concernant nos 500 sœurs autochtones disparues ou assassinées témoignent d’une grave négligence. Le manque d’engagement de notre gouvernement pour mettre fin à la violence faite aux femmes se traduit également par la diminution du soutien financier et politique des groupes qui revendiquent une égalité substantielle. Les victimes de la traite des femmes ont été emprisonnées, et les femmes qui se plaignent de subir de la violence sont accusées de nuisance, d’outrage et d’autres comportements criminels. Au Canada, la population carcérale qui augmente le plus rapidement est composée de jeunes femmes effrayées, racialisées et pauvres.

En 2003, les Nations Unies ont critiqué le Canada pour ne pas s’être attaqué au problème de la discrimination envers les femmes, tout particulièrement en ce qui a trait à l’aide sociale, la pauvreté, l’immigration, le traitement des femmes autochtones et des femmes victimes des trafiquants d’êtres humains, et pour avoir sabré dans les fonds alloués aux services d’urgence et aux refuges. Cette violence fondée sur le sexe, à la fois directe et structurale, nuit ou invalide l’accès des femmes aux droits de la personne et aux libertés fondamentales. Elle restreint la capacité des  femmes de fonctionner dans la société en tant que citoyennes à part entière.

Mon ami, collègue, allié et confrère dans le milieu universitaire, M. Greg McVicker, a inventé le terme fémaniste pour désigner une personne, de sexe masculin ou féminin, qui défend les droits des femmes, remet en question le statu quo et cherche à mettre fin à toutes les pratiques d’oppression et de domination. Ensemble, en tant que féministes et fémanistes, nous devons écouter les femmes et apprendre d’elles. Nous devons lire la littérature féminine qui traite des racines de la violence. Nous devons remettre en question et changer les normes sexuelles traditionnelles. Nous devons éduquer nos fils et nos neveux à chérir le respect, la non-violence et l’intégrité. Nous devons réfléchir à nos propres comportements et attitudes qui nous permettent de tolérer les abus. Nous devons utiliser un langage inclusif et non sexiste et confronter les remarques sexistes, racistes et homophobes. Nous devons écrire aux éditeurs et aux rédacteurs lorsque nous rencontrons du sexisme dans les journaux, magazines et revues. Nous devons protester contre l’usage gratuit de la violence envers les femmes à la télévision et au cinéma. Nous devons remettre en question les politiques législatives et sociales et tenir nos représentants responsables de l’élimination de toutes les formes de violence envers les femmes.

En bref, nous devons tous travailler ensemble à l’établissement de relations saines fondées sur la coopération et la confiance, et où tout le monde peut s’épanouir. Comme le dit Mme Lilla Watson, « Si vous êtes venu ici pour m’aider, vous perdez votre temps. Mais si vous êtes venu parce que votre libération est étroitement liée à la mienne, alors travaillons ensemble ». En reconnaissance des événements terribles du 6 décembre, et de tous les jours, travaillons ensemble pour mettre fin à la violence faite aux femmes.

 

Madame Juliana West est étudiante au doctorat à l’Université du Manitoba. Plus tôt ce mois-ci, Mme Juliana West prononçait un discours émouvant au campus de l’Université du Manitoba. Cet article est une version abrégée de ce discours.

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