Ratification de l’AÉCG – plus facile à dire qu’à faire

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January 15, 2016

La majorité des Canadiennes et Canadiens n’ont jamais appuyé l’orientation néoconservatrice agressive de l’ancien premier ministre Stephen Harper. Lors des élections fédérales d’octobre dernier, ils se sont ralliés derrière le parti de l’opposition ayant les meilleures chances de défaire les conservateurs. Ce désir de changement s’est cristallisé autour du Parti libéral de Justin Trudeau. De son rang de troisième parti à la Chambre des communes, le Parti libéral a effectué toute une remontée et a formé un gouvernement majoritaire.

Des signes encourageants montrent que le nouveau gouvernement fédéral est prêt à mettre fin aux pires excès du gouvernement Harper : mesures d’austérité, obstruction à la lutte contre les changements climatiques, culture du secret, manque de consultation et mépris envers toute forme de critique. Toutefois, en matière de commerce et d’investissement, c’est la continuité, plutôt que le changement, qui semble être à l’ordre du jour.

Les libéraux ont proclamé à maintes reprises leur appui de principe à l’égard des accords commerciaux négociés par le gouvernement précédent, y compris le Partenariat transpacifique et l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre les Canada et l’Union européenne. Bien que le premier ministre Trudeau ait ordonné la tenue d’un examen parlementaire afin de peser le pour et le contre du controversé Partenariat transpacifique, il a tout simplement donné comme directive à sa nouvelle ministre du Commerce international de mettre en œuvre l’AÉCG.

Mais c’est peut-être plus facile à dire qu’à faire, car l’accord, tel qu’il a été négocié, ne bénéficie pas d’appuis politiques et populaires suffisants pour garantir sa ratification en Europe. Il va sans dire que l’inclusion dans l’accord d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) le rend « toxique ».

Et plus cette question sensible retarde la ratification de l’AÉCG, plus l’accord s’emmêle dans la controverse qui entoure le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), l’accord commercial en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Les 250 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Berlin en octobre dernier s’opposaient au PTCI et à l’AÉCG, qui est maintenant perçu comme un cheval de Troie destiné à faciliter la mise en œuvre de l’accord avec les États-Unis, beaucoup plus imposant et menaçant.

La lenteur du processus de vérification juridique de l’AÉCG (entamé il y a déjà plus de 14 moins) laisse croire que la Commission européenne retarde le processus dans l’espoir que le nouveau gouvernement canadien soit plus disposé à modifier le texte de l’accord. Et comme on pouvait s’y attendre, la Commission a demandé au nouveau gouvernement libéral de renégocier le chapitre de l’AÉCG portant sur les investissements.

Il est fort probable que ces pourparlers ne donnent lieu qu’à des modifications superficielles, surtout s’ils se déroulent à huis clos. Les partisans de l’accord pourront alors vanter les vertus d’un mécanisme de règlement des différends « amélioré » et essayer de faire adopter l’accord à toute vapeur par un Parlement européen prudent, mais divisé.

Peu de temps après les élections fédérales canadiennes, la Commission européenne a dévoilé sa proposition visant la création d’un système juridictionnel des investissements dans le cadre du PTCI, première étape vers l’établissement d’un véritable tribunal international des investissements qui pourrait venir corriger les vices de procédure flagrants du mécanisme de RDIE. La proposition de la Commission comporte des éléments positifs, comme l’inclusion du droit de réglementer dans le texte même de l’accord (plutôt que dans un préambule). Toutefois, l’importance prépondérante accordée aux droits des investisseurs et le recours au mécanisme de RDIE continuent à poser d’importants problèmes. Par exemple, le droit de réglementer, tel qu’il a été proposé, est subordonné à un critère de nécessité qui sera déterminé par des arbitres plutôt que par des tribunaux ou des assemblées législatives.

Par ailleurs, il est peu probable que ces améliorations marginales, qui ne font pas partie du texte actuel de l’AÉCG sur les investissements, trouvent grâce aux yeux des négociateurs canadiens. Le nouveau gouvernement libéral sera probablement plus enclin que le gouvernement conservateur précédent à renégocier les règles de l’AÉCG relatives aux investissements. Mais les influentes entreprises canadiennes des secteurs minier et énergétique n’accepteront pas docilement des changements qui viendront saper ou diluer le mécanisme de RDIE, qui constitue une de leurs priorités en matière de politique commerciale canadienne.

Le gouvernement canadien hésite aussi à aligner l’AÉCG sur les propositions de la Commission européenne relatives au PTCI, car il semble maintenant qu’elles seront rejetées par les États-Unis. Ces réticences de la part des négociateurs canadiens pourraient se conjuguer aux pressions exercées par les partisans du mécanisme de RDIE à Bruxelles qui désirent limiter le plus possible les réformes à l’AÉCG.

L’appui vigoureux des gouvernements canadiens précédents à l’égard du mécanisme de RDIE laisse perplexe compte tenu que le Canada a fait l’objet de nombreuses réclamations dans le cadre de différends investisseurs-État. Bien que le gouvernement ait eu gain de cause dans huit dossiers opposant des investisseurs à l’État canadien, sept différends aux termes de l’ALÉNA se sont soldés par un règlement ou une décision défavorable au gouvernement, qui a été obligé de payer des dommages de plus de 190 millions $ CAN. En fait, grâce au chapitre de l’ALÉNA portant sur les investissements, le Canada remporte la palme peu enviable du pays développé ayant fait l’objet du plus grand nombre de poursuites.

L’an dernier, un tribunal d’arbitrage de l’ALÉNA a déterminé que l’étude d’impact environnemental, qui a servi à justifier le refus d’octroyer à une multinationale américaine un permis d’exploitation pour une méga-carrière dans une région côtière de la Nouvelle-Écosse très fragile au plan écologique, constituait une violation des droits de l’investisseur américain protégés par l’ALÉNA. Ce cas troublant met en lumière les problèmes que posent les dispositions semblables de protection des investisseurs comprises dans l’AÉCG. Il contredit les affirmations selon lesquelles le mécanisme de RDIE ne compromettra pas les protections environnementales. Il en va de même des autres contestations aux termes de l’ALÉNA, y compris celle visant l’interdiction de fracturation hydraulique au Québec, un cas qui ressemble de manière inquiétante au litige investisseur-État dans le cadre duquel l’entreprise Vattenfall réclame 4,7 milliards d’euros au gouvernement allemand parce que ce dernier a décidé d’abandonner graduellement l’énergie nucléaire.

Pour un nombre croissant de citoyens, la solution évidente face à de tels outrages consiste à se débarrasser complètement du mécanisme de RDIE. Comme les critiques n’ont cessé de le répéter, l’Europe et le Canada disposent tous deux d’un système judiciaire très respecté qui protège les droits de tous les investisseurs, peu importe leur nationalité. Il n’existe aucune raison convaincante d’accepter rien de moins que l’élimination du mécanisme de RDIE.

Un AÉCG dépourvu du mécanisme de RDIE serait un meilleur accord, mais il ne mériterait quand même pas qu’on l’appuit. Comme le PTCI, l’AÉCG comprend d’autres dispositions néfastes qui affaibliraient la réglementation nationale, rendraient irréversible toute privatisation des services publics, et encourageraient un programme de « coopération en matière de réglementation » permettant ainsi aux entreprises étrangères de se munir de nouveaux outils pour étouffer les mesures d’intérêt public. Par ailleurs, les protections de l’AÉCG en matière de travail et d’environnement sont faibles et largement inapplicables.

Si les pourparlers controversés en matière de commerce et d’investissement entre l’Europe et les États-Unis n’avaient pas galvanisé l’opinion publique, les éléments néfastes de l’AÉCG, moins médiatisé que le PTCI, seraient passés inaperçus. Mais maintenant que le voile a été levé, les citoyens et les gouvernements examinent ces éléments de plus près. Les deux accords sont sous les feux de la rampe et font l’objet d’une opposition croissante.

La Commission européenne et le gouvernement canadien devront se réconcilier avec la notoriété croissante de l’AÉCG. Au minimum, le mécanisme de RDIE doit être retiré de l’accord. D’autres sections du texte de l’AÉCG devront aussi être rouvertes pour tenir compte des préoccupations de la population qui ont été mises en lumière par le PTCI. Des changements superficiels ne suffiront tout simplement pas.

Scott Sinclair est chercheur en chef en matière de commerce au Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) où il dirige notamment le programme de recherche sur le commerce et l’investissement. Il a participé à la rédaction du rapport intitulé Making Sense of CETA (comprendre l’AÉCG).

Le présent article a été initialement publié dans le périodique allemand Internationale Politik und Gesellschaft (politique internationale et société).

Traduction du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

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