Un plan pour protéger les travailleurs et le public d'une crise sans précédent

Préface au Budget fédéral alternatif de 2020
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March 17, 2020

L’avènement du nouveau coronavirus COVID-19 pose un défi de taille pour le Canada et pour tous les pays du monde. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré un état de pandémie. Pendant ce temps, les pays du monde entier s’efforcent de contenir la propagation du coronavirus et les autorités sanitaires, face à d’innombrables pressions, font la course pour traiter les victimes.

Ces circonstances sont exceptionnelles.

Plusieurs provinces ont décrété la fermeture des établissements d’enseignement, des garderies et des centres communautaires. Certaines ont annulé de grands évènements et ont demandé aux personnes rentrant de voyage de s’auto-isoler afin de ralentir la propagation de la COVID-19. Dans certains endroits, on recommande aussi la distanciation sociale dans le but d’endiguer la propagation. 

Nous nous enfonçons en territoire inconnu. La COVID-19 et la chute du prix du pétrole menacent non seulement la santé et la sécurité publiques, mais également notre stabilité économique. Il est maintenant temps de faire preuve de solidarité sociale, de leadership gouvernemental et de coopération opportune et non partisane afin de faire tout ce qu’il faut pour protéger le public.

Le gouvernement fédéral a annoncé une aide financière initiale d’un milliard de dollars pour la recherche, l’aide aux provinces et aux territoires et le soutien à l’emploi. Il s’agit d’une intervention sans précédent pour répondre à une situation qui évolue sans cesse. Mais est-ce suffisant? L’apparition en 2003 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) avait entraîné de nouveaux investissements en santé publique, mais le financement a diminué au fil du temps. Et parce que nous sommes seulement aussi forts que notre maillon le plus faible, il est essentiel d’investir de façon soutenue dans la prévention des maladies et la promotion et la protection de la santé — une chose que la pandémie de la COVID-19 nous apprend incontestablement.

Chaque année, le Budget fédéral alternatif (BFA) dresse un plan financier dans le but d’assurer la santé, la sécurité et le bien-être de la population, de réduire la pauvreté et les inégalités de revenu et de favoriser une plus grande inclusion. Le BFA de cette année ne fait pas exception. Cependant l’évolution rapide de la réalité de la COVID-19 et le besoin d’interventions flexibles de la part des gouvernements indiquent que les éléments de cette feuille de route devraient être considérés comme base de référence. Des mesures financières plus audacieuses seront sans doute nécessaires dans les semaines et les mois à venir. 

Le BFA 2020 met de l’avant des solutions prêtes à mettre en œuvre pour combattre la crise actuelle à court, à moyen et à long terme. Le plan d’urgence du BFA pour combattre la COVID-19 répond aux besoins immédiats des travailleuses et des travailleurs, renforce la résilience et la capacité des programmes sociaux et répond de manière satisfaisante aux besoins des communautés vulnérables.

Court terme

Les répercussions économiques de cette crise sur les travailleuses et les travailleurs et sur les ménages canadiens pourraient être graves. L’assurance-emploi (A.-E.) est l’outil le mieux adapté dont dispose le gouvernement fédéral pour soutenir le revenu. Ce programme est capable de réagir rapidement aux effets économiques émergents sur les travailleuses et les travailleurs. Malheureusement, beaucoup de personnes en chômage n’ont pas accès à l’assurance-emploi et à ses mesures de soutien; et même si elles y ont accès, les prestations sont peu élevées. La COVID-19 met en relief les lacunes de l’assurance-emploi du Canada. Pour régler ces problèmes, le BFA prévoit les mesures suivantes :

  1. Réduire à 360 heures le nombre d’heures de travail requises pour être admissible aux prestations ordinaires et spéciales de l’A.-E. (comme les prestations de maladie) : 510 millions de dollars.
  2. Augmenter de 55 % à 60 % le taux de remplacement du revenu assuré par les prestations d’A.-E., bien que la crise justifierait un taux de remplacement encore plus élevé : 1,7 milliard de dollars.
  3. Doubler de 15 à 30 semaines la durée des prestations de maladie du régime d’A.-E. : 645 millions de dollars.
  4. Introduira une prestation minimum de 300 dollars par semaine pour les demandeurs d’A.-E. à faible revenu : 900 millions de dollars.
  5. Créer un fonds d’urgence distinct pour les travailleuses et travailleurs mis en quarantaine, mais qui ne sont pas admissibles à l’A.-E. Cette mesure s’est appliquée au moment de l’éclosion du SRAS, mais de façon limitée pour les travailleuses et travailleurs du secteur de la santé. Compte tenu de la hausse du nombre d’emplois précaires et à la pige depuis, cette mesure devrait s’appliquer à tous les travailleurs et travailleuses et les prestations devraient être similaires à celles que reçoivent les personnes admissibles à l’A.-E. en vertu des règles actuelles.
  6. Doubler le montant de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) pendant un mois. L’ACE est versée mensuellement et les prochains versements se feront le 20 mars et le 20 avril. En doublant cette allocation, on éviterait une restructuration complexe et on aiderait rapidement les parents dont les enfants ne sont pas à l’école et qui auront, par conséquent, des frais de garde additionnels à payer ou devront manquer des quarts de travail. Ainsi, les familles avec de jeunes enfants recevraient 564 dollars de plus par mois à un moment où ils en ont le plus besoin : 2,1 milliards de dollars en Mars.

Moyen terme

Au cours des prochains mois, en raison de l’impact économique du coronavirus et de la chute du prix du pétrole, l’économie canadienne sera sans doute frappée par une récession. Le transfert de revenu est une façon d’aider rapidement la population canadienne à surmonter cette crise. À cette fin, le BFA prévoit les mesures suivantes :

  1. Instaurer un dividende de la dignité : 4,6 milliards de dollars. Ce nouveau transfert fédéral remettra à chaque adulte et chaque enfant parmi les plus démunis un montant de 1 800 dollars, un montant qui diminuera à mesure que le revenu augmentera. Cette mesure pourra sortir quelque 370 000 personnes de la pauvreté, ce qui constituera un facteur stabilisant durant une récession et renforcera par la suite la résilience des ménages. Ce crédit s’inspire de la structure du crédit de la TPS qui existe déjà et pourra s’ajouter à ces paiements le 3 avril et le 5 juillet 2020.
  2. Bonifier les transferts versés aux personnes âgées à faible revenu : 5,7 milliards de dollars. La crise de la COVID-19 risque de frapper durement les personnes âgées. Les taux d’infection chez les aînés sont beaucoup plus élevés que dans les autres tranches d’âge, de même que les taux de mortalité. Le Supplément de revenu garanti est un transfert de revenu essentiel pour venir en aide aux personnes âgées à faible revenu. Permettre aux aînés prestataires du Régime de pensions du Canada de garder une plus grande partie de ce supplément et en augmenter jusqu’à mille dollars la valeur de base aura pour effet de maintenir leur niveau de revenu. Les prochains paiements sont prévus le 27 mars et le 28 avril 2020.
  3. Étendre la Prestation relative au logement du Canada afin de soutenir l’isolement volontaire : 250 millions de dollars. La Prestation relative au logement du Canada commence à être versée en 2020 aux familles à faible revenu qui consacrent une importante partie de leur revenu au loyer. Le BFA double la contribution du gouvernement fédéral à ce programme afin que 200 000 familles à faible revenu additionnelles aient les moyens de payer leur loyer durant la crise de la COVID-19. Cette bonification serait accordée en priorité aux familles obligées de s’isoler et qui, en conséquence, subiront une perte de revenus.
  4. Éliminer les intérêts sur les prêts accordés en vertu du Programme de prêts canadiens d’études 650 millions de dollars. Le BFA ne se limite pas éliminer les intérêts sur les prêts d’études, mais il étend aux étudiant.es à temps partiel le congé de remboursement des prêts après l’obtention du diplôme dont bénéficient les étudiant.es à temps plein.

Long terme

La crise de la COVID-19 mettra à dure épreuve notre infrastructure sociale dans les prochains mois et les prochaines années. Elle mettra également en relief le fait que la capacité du système public de répondre efficacement aux besoins de la population en période de crise a été mise à mal par des décennies d’investissements insuffisants, de compressions et de budgets d’austérité. Une refonte en profondeur de notre infrastructure sociale est nécessaire et le BFA prévoit les mesures suivantes : 

  1. Augmenter le taux d’indexation pour les services de santé : 600 millions de dollars. Présentement, le montant des transferts fédéraux versés aux provinces est relié à la croissance nominale du PIB ou à 3 %, selon le plus élevé des deux. La croissance du PIB dans le contexte d’une récession imminente sera certainement inférieure à 3 %, de sorte que le taux d’indexation pour les services de santé sera de 3 %. Paradoxalement, cela signifie que la croissance des transferts fédéraux chutera de 3,6 % (en 2019-2010) à 3 % (2020-2021) au milieu d’une crise de santé et d’une récession nationale probable. Le BFA fixera à 5,2 % par année le taux d’indexation pour les services de santé, comme en ont convenu les provinces et les défenseurs de la santé. Ces nouveaux fonds mettront fin à la « médecine de couloirs d’hôpitaux » une fois pour toutes. Ils nous donneront la capacité d’intervention requise durant des pics saisonniers, comme la saison de la grippe, mais feront également en sorte que les conditions dans les salles d’urgence soient plus humanitaires. Ils permettront aussi aux unités de santé publique de faire face à des éclosions comme le coronavirus et la grippe saisonnière. 
  2. Mettre en œuvre une stratégie nationale de soins pour aînés en établissements de soins de longue durée [800 millions de dollars] et à domicile [900 millions de dollars]. Malheureusement, les aînés sont plus à risque que les autres tranches d’âge d’être infectés par la COVID-19. Présentement, nos systèmes de santé ne sont pas en mesure de prendre soin de nos aînés. Et la situation s’aggravera à mesure que progressera l’épidémie. Le BFA mettra en place une stratégie nationale de soins pour aînés. La stratégie augmentera pour commencer de 1,3 % à 2 % du PIB les dépenses pour les soins de longue durée, soit un montant de 800 millions de dollars la première année, et ciblerait le financement des soins à domicile, qui prendra fin au bout de deux ans. 
  3. Instaurer un transfert aux provinces pour la réduction de la pauvreté : 4,5 milliards de dollars. La récession qui accompagnera sans doute cette crise sanitaire imposera un fardeau supplémentaire aux familles pauvres ou vivant sous le seuil de la pauvreté. Le BFA instaurera un transfert aux provinces pour soutenir leurs stratégies de réduction de pauvreté déjà en place, qui sera fondé sur l’atteinte de leurs objectifs de réduction de pauvreté. Les mesures de réduction de pauvreté du BFA auront pour effet de réduire les taux de pauvreté de la moitié d’ici l’an prochain, devançant le plan actuel de réduction de la pauvreté du gouvernement fédéral de 2030 à 2021 (utilisant 2015 comme année de référence).
  4. Investir dans les services de garde à l’enfance : 1 milliard de dollars. Les travailleuses et les travailleurs en garderie seront en première ligne pour combattre la COVID-19. Ils devront prendre soin des enfants et appuyer les parents qui travaillent dans des secteurs vulnérables aux effets de la pandémie actuelle. En raison de la fermeture des garderies durant la crise, certains seront sans emploi et leur coussin financier sera quasi inexistant vu les faibles salaires versés dans ce secteur. Le BFA créera un système plus abordable pour les parents, un système qui bonifiera le salaire du personnel des garderies et augmentera le nombre de places offertes au Canada.
  5. Assurer une transition équitable pour les travailleurs et travailleuses du secteur de l’énergie et pour les collectivités : 1 milliard de dollars sur 10 ans. Au moment même où la COVID-19 frappe le Canada, les prix du pétrole chutent. Par conséquent, les travailleurs et travailleuses du secteur de l’énergie et leurs collectivités seront doublement frappés. Dans notre progression vers la « décarbonisation » du Canada, nous devons nous assurer que ces travailleurs et travailleuses ne sont pas laissés pour compte. Le BFA mettra en œuvre une stratégie nationale de décarbonisation et un transfert pour une transition équitable afin de recycler cette main-d’œuvre pour les emplois du futur. La pleine valeur du transfert dépend d’une évaluation de l’équité, pour s’assurer que les avantages sont répartis équitablement entre toutes les personnes touchées dans chaque collectivité peu importe qu’elles travaillent directement ou non dans le secteur des combustibles fossiles.
  6. Rétablir la capacité financière (supprimer les échappatoires) afin de pouvoir payer pour ces priorités : 52,6 milliards de dollars de nouvelles recettes. En agissant rapidement pour investir dans les programmes sociaux et fournir de l’aide immédiate et à long terme aux travailleuses et travailleurs et à leurs familles, les gouvernements ne devraient pas songer un instant aux déficits. Les taux d’intérêt que doit payer le gouvernement fédéral sur la dette n’ont jamais été aussi bas. À long terme, rendre le régime fiscal plus juste, plus responsable et plus progressiste en éliminant les échappatoires fiscales et en déplaçant la charge fiscale vers ceux qui ont profité le plus de la dernière décennie de croissance est nécessaire pour restaurer notre capacité financière et financer de façon soutenue nos programmes essentiels, comme les services de santé et le soutien au revenu.  

Résumé 

Une pandémie mondiale est un rappel qui donne à réfléchir sur l’importance des priorités publiques, au fait que les gouvernements ont un rôle actif à jouer pour assurer la santé et la sécurité publiques et à la nécessité de faire preuve de solidarité sociale en investissant dans des changements durables qui nous rendront plus résilients, qui amélioreront le bien-être collectif, qui s’attaqueront aux inégalités, qui aideront les personnes les plus marginalisées et désavantagées et qui amélioreront la qualité de vie de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. 

Les services de base et les enjeux globaux ont toujours été au cœur des priorités du BFA : de l’aide ciblée et des mesures de soutien pour les travailleurs et travailleuses, les familles, les collectivités et les secteurs qui en ont le plus besoin et un secteur public robuste avec de vastes programmes pour améliorer à l’échelle de la transformation sociale leur viabilité et leur équité. En des temps comme ceux-ci, la prescription que met de l’avant le BFA est le remède qu’il faut.

Le logement et l’insécurité alimentaire sont des déterminants critiques de la santé et pendant de trop nombreuses années, nous avons sous-investi dans des stratégies qui permettent de relever les défis qu’ils posent. Le BFA prévoit des investissements judicieux pour répondre aux besoins dans ces deux secteurs. 

L’éducation et l’inclusion sociale sont également des déterminants essentiels pour assurer la santé d’une société et la résilience et la cohésion des collectivités. Le BFA définit des mesures pour assurer aux nouveaux arrivants le soutien dont ils ont besoin et il met de l’avant une vision progressiste de l’éducation du « berceau au tombeau ». Ses investissements dans l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, dans les mesures de soutien pour les jeunes et dans l’éducation postsecondaire et la formation fournissent aux enfants, aux jeunes et aux étudiant.es de tous les âges les fondements dont ils ont besoin pour s’épanouir.

Le BFA propose des changements d’orientation nécessaires afin de contrer la hausse du travail précaire et faiblement rémunéré — depuis l’économie des petits boulots à la pige jusqu’au secteur de la création — et ses répercussions disproportionnées sur les femmes et sur les travailleurs racialisés. Cela étant, le BFA devance considérablement les objectifs de réduction de pauvreté du gouvernement fédéral de la moitié d’ici 2030. Nous y parviendrons d’ici 2021.

Le BFA propose également un plan audacieux pour s’attaquer à des problèmes négligés depuis plus d’une génération : la pauvreté; la dégradation de nos infrastructures;  le manque d’eau potable, de logement décent et d’autres infrastructures dans les communautés autochtones; et le besoin immédiat et pressant de faire face à l’urgence climatique. Le BFA présente un programme en matière de commerce international qui enchâsse les droits et la protection des travailleuses et travailleurs tout en protégeant l’environnement. 

La COVID-19 offre aux représentants politiques, aux décisionnaires et au public une occasion sans précédent de réfléchir à la société et l’économie que nous avons bâties, aux personnes que nous laissons pour compte et aux aspects qui doivent être améliorés. Depuis 1995, le BFA met de l’avant des solutions pour contrer les inégalités et investir dans les programmes sociaux et les infrastructures afin d’en assurer l’efficacité et la durabilité à long terme. Le BFA s’attaque au fléau et aux conséquences de nature ethnique et sexospécifique qu’entraîne le travail précaire et faiblement rémunéré tout en respectant nos engagements en matière d’environnement, de réconciliation et d’élimination de la pauvreté. Et les propositions du BFA dressent une feuille de route claire pour contrer les effets immédiats et à moyen terme de la COVID-19 ou de n’importe quelle autre crise d’une ampleur semblable tout en fournissant des solutions à long terme pour renforcer notre société et notre économie.


L'ACCP remercie Trish Hennessy pour son aide dans la rédaction de ce message, qui est inclus en préface à AFB2020. Le budget fédéral alternatif 2020: nouvelle décennie, nouvelle entente peut être téléchargé à www.policyalternatives.ca. Pour plus d’informations et d’entrevues, contactez: Alyssa O’Dell, agente des relations publiques et des médias de l’ACCP, au 343-998-7575 ou à [email protected].

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