Fast Facts: Racisme policier

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January 15, 2009

Depuis le tout premier jour de l’enquête sur le décès de Matthew Dumas, atteint d’une balle tirée par un policier de Winnipeg, maître Robert Tapper prend la peine d’insister sur le fait que la race n’a rien à voir avec la mort de monsieur Dumas. Dans son rapport publié récemment, la juge de la cour provinciale, Mme Mary Curtis, appuie ses dires en concluant que Matthew Dumas a perdu la vie en conséquence de ses agissements et non en raison du racisme policier.

Beaucoup pourraient se sentir soulagés par la conclusion du juge Curtis qui laisse à penser que le problème des relations entre la police et les Autochtones dans notre ville est vraiment un problème autochtone. Mais trop d’Autochtones à Winnipeg savent qu’il en est autrement.

Au cours des cinq derniers mois, j’ai participé à un projet de recherche dans le cadre duquel j’ai interrogé des Autochtones sur leurs expériences avec les policiers. Au départ, je devais effectuer 30 entrevues, mais de plus en plus de personnes venaient me voir pour raconter leur expérience. Nous nous sommes finalement arrêtés à 79 entrevues.

Ce que j’ai appris de ces rencontres est troublant. Les stéréotypes racistes et les pratiques raciales ressortent clairement de ces récits. Les hommes autochtones qui habitent le centre-ville sont sans cesse questionnés par les policiers. Lorsqu’ils demandent ce qu’ils ont fait de mal, les policiers répondent généralement : « Tu corresponds à la description ». Comme le faisait remarquer un jeune homme, « regarde-moi, je ressemble assez à n’importe quel autre homme qui vit dans le quartier nord. » Parfois, on emmène les hommes au poste de police à plusieurs milles de distance. Lorsqu’on les relâche, ils doivent se débrouiller seuls pour trouver les moyens de retourner chez eux. Des femmes autochtones disent ne pas pouvoir aller à l’épicerie sans se faire arrêter par un policier qui prend pour acquis qu’elles sont des prostituées.

En ce sens, le centre-ville est un espace « racialisé ». Le seul fait d’être Autochtone et présent dans cet espace vous rend suspect.

D’autres espaces de Winnipeg sont « racialisés », mais d’une différente façon. Un jeune homme dit avoir été arrêté par un policier dans le quartier Tuxedo. Le policier lui a demandé ce qu’il faisait là. Il a répondu qu’il allait rendre visite à un ami. Le policier a répliqué : « Comment peux-tu avoir un ami ici? »

D’autres récits de comportements racistes sont encore plus troublants. Les participants aux entrevues décrivaient périodiquement le « traitement de l’annuaire téléphonique ». Apparemment, lorsqu’on frappe quelqu’un avec un annuaire, ça ne laisse aucune trace sur la peau. Les policiers semblent utiliser cette stratégie, parfois dans l’ascenseur de l’édifice de la sécurité publique, pour soutirer des renseignements.

Une autre pratique troublante consiste à amener un Autochtone en dehors de Winnipeg et à le laisser là, souvent dans le froid mordant, obligé de retrouver sa route jusque chez lui. L’enquête du juge Wright sur le cas du décès de Neil Stonechild, en Saskatchewan, nous a appris que de tels comportements se produisent aussi dans cette province. Le Manitoba ne semble pas faire exception.

Un autre homme, maintenant dans la quarantaine, a raconté qu’à l’âge de 10 à 13 ans, il a été pris au moins à dix occasions, par le même policier, qui l’emmenaient en dehors de la ville. L’habitude était tellement bien installée que le policier lui disait : « Tu sais ce qui t’attend ». Il devait enlever ses chaussures, que le policier rangeait dans le coffre de sa voiture, et revenir à pied jusqu’en ville. Après la première fois, il a raconté à son père ce qui s’était passé. Son père ne l’a pas cru. Mais à une occasion, en se penchant pour enlever sa chaussure, il a ramassé une poignée de cailloux qu’il a lancés au visage de l’agent, ce qui lui a permis de se sauver. En retournant chez lui avec une seule chaussure, il a finalement réussi à convaincre son père.

La drogue, les gangs et la violence sont des problèmes pressants au centre-ville, mais les stratégies utilisées par les policiers pour régler ces problèmes sont elles-mêmes problématiques. Plusieurs personnes ont raconté avoir été prises par les policiers et contraintes de donner des noms de personnes engagées dans le commerce de la drogue. Plusieurs se sont même fait offrir de l’argent en échange. L’un d’entre eux nous a dit que, même s’il sait qu’il se vend de la drogue dans le quartier, moucharder le mettrait en danger.

Une part du problème est l’état d’esprit des policiers qui les amène à interpréter les situations avec une teinte de racisme. Un homme a raconté un incident en compagnie de ses beaux-fils. La famille était réunie pour une fête. À environ 3 h, ils se sont rendus près d’une station service pour acheter des cigarettes. Un des beaux-fils a été poignardé par un autre homme. Ils ont réussi à ramener le jeune blessé chez lui et ont appelé une ambulance. Lorsque les policiers sont arrivés, ils n’ont pas voulu écouter ce que le père essayait d’expliquer. Le policier a simplement pris pour acquis qu’il s’agissait d’une de ces beuveries « proverbiales » qui avait mal tourné.

Trop de participants ont parlé du manque de respect des policiers. Des mots comme « squaw » et « sale indien » semblent courants dans la bouche des policiers. Une politique du silence s’applique concernant le mauvais comportement des policiers. Les gens ne disent rien, car ils craignent les conséquences ou ils ont peur qu’on ne les croie pas et que rien ne se fasse. Ces craintes sont fondées. Les statistiques recueillies par Inner City Safety Coalition révèlent qu’il a fallu plus d’un an pour mener à terme 38 % des enquêtes de l’Organisme chargé des enquêtes sur l'application de la loi de 1996 à 2005. Presque toutes les plaintes (89 %) ont été soit rejetées par l’Organisme, soit abandonnées et retirées par le plaignant. Très peu de plaintes se sont soldées par des mesures visant à tenir le policier responsable de ses actes. De 1995 à 2006, seulement 5 % des cas ont été résolus de façon non officielle et seulement 5 % ont fait l’objet d’une audience publique devant un juge de la cour provinciale.

Ces expériences racontées par des Autochtones nous permet de situer dans un contexte élargi la mort de Matthew Dumas, un contexte dans lequel la race entre certainement en ligne de compte. Comme trop de jeunes hommes autochtones, monsieur Dumas a fait l’objet d’arrestations par un policier parce que, supposément, il « correspondait à la description ». Une fois informé de la peur et de la méfiance envers les policiers qui prévaut chez les Autochtones, et de l’hostilité qui en résulte, on comprend mieux pourquoi monsieur Dumas a pris la décision de s’enfuir devant un agent. Malheureusement, sa fuite s’est soldée par son décès. L’enquête Dumas a duré deux semaines au mois de juin dernier. Dans les mois qui ont suivi, deux autres hommes autochtones, Michael Langan et Craig McDougall, sont morts aux mains des policiers de Winnipeg. Combien d’autres hommes autochtones devront mourir avant que nous commencions tous à reconnaître que le racisme est bien vivant à Winnipeg?

 Mme Elizabeth Comack est professeure de sociologie à l’Université du Manitoba et associée de recherche au Centre canadien de politiques alternatives — Manitoba. 


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